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HENRI DE GAND

en elle une forme substantielle… Ceux pour qui l’essence diffère réellement de l’existence entendent de cette manière la participation de l’essence à l’existence… Mais cette façon d’entendre cette participation n’est qu’une imagination fantastique ; on s’y représente, en quelque sorte, l’opération créatrice comme procédant à la manière de la génération naturelle. Or la génération naturelle présuppose un support ; la création, au contraire, ne produit pas simplement quelque chose au sein d’un sujet ; elle produit en outre le sujet lui-même… Ceux donc qui admettent ce mode de participation de l’essence à l’existence ne sauraient, de la sorte, sauver la création proprement dite… La création proprement dite, en effet, ne tire pas de quelque chose cc qu’elle produit, mais le tire du néant ; cc qui est vraiment créé n’est pas créé de quelque chose, mais de rien. »

« Avicenne a péché gravement, répète Henri de Gand après Averroès[1], lorsqu’il a jugé que l’existence et l’un étaient des dispositions ajoutées à l’essence… Ce ne sont pas des dispositions ajoutées à l’essence comme la disposition [accidentelle] qui dans un corps noir ou dans un corps blanc », est adjointe au corps.

Avicenne et Al Gazâli, donc, en mettant une distinction réelle entre l’essence et l’existence, n’ont pas moins contredit au dogme de la création que ne le devait faire Siger de Brabant en réduisant cette distinction à une pure distinction de raison.

Demandons maintenant à Henri de Gand de nous exposer la théorie qu’il croit vraie.

« Les philosophes, dit-il[2], aussi bien que les fidèles, s’accordent en cette commune opinion : La créature, en tant que créature, n a d’existence que par participation ; elle ne la possède donc point d’elle-même ; elle la tient d’un autre qui, par essence, est son propre être.

» Mais au sujet du non-être de la créature, on peut distinguer deux opinions.

» L’une, qui est soutenue par quelques philosophes, dit ceci : La créature tient son existence d autrui ; par elle-même, toutefois, et par la nature de son essence, elle n’a point la non-existence, ni en réalité, ni même en la pensée… Cette opinion est tout à fait absurde ; il n’est aucune substance qui, par sa nature, soit étrangère à toute non-existence, si cc n est celle qui est l’être même

1. Henrici a Gandavo Quodlibela ; quodlib. primum, quæst. IX ; edi cil-, fol. VII, recto.

2. Henrici a Gandavo (Juod/ibeta ; quodlib, I, quæst. VII et VIII ; éd. cil., fol. 1111, verso.

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