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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

absolument la même chose que différer au seul point de vue de la raison, qu’on lui donne un autre nom. il est bien vain de disputer du nom lorsqu’on est d’accord sur la chose.

» C’est de cette façon intermédiaire que j’ai dit et que je répète cette proposition : L’essence et l’existence diffèrent entre elles ; la première des deux, en effet, qui est l’essence, peut être associée par la pensée à l’opposé de l’existence ; mais je ne veux point dire qu’une telle association soit possible autrement qu’en notre esprit ; sinon, l’essence pourrait en mèmè temps exister et ne pas exister. »

Il est facile de voir quels sont les deux excès dont Henri de Gand prétend ici se garder.

Celui qui consiste à lier l’essence à l’existence aussi étroitement que la définition l’est au défini, en sorte qu’une essence ne se puisse même concevoir comme inexistante, c’est celui auquel, de la manière la plus formelle, se portait Siger de Brabant.

C’est contre cet excès-là que les lignes suivantes ont été écrites[1] :

« L’intelligence peut bien séparer l’existence de l’essence de la manière que voici :

« L’essence ainsi séparée n’existe pas actuellement hors de l’intelligence ; mais elle est cependant une certaine essence en soi ; l’intelligence la conçoit comme un modèle et, à ce titre de modèle, elle est apte à être effectuée par le Créateur. Cette essence séparée une fois conçue, il n’est pas nécessaire d’en concevoir en meme temps l’existence actuelle. Bien que l’esprit conçoive, d’un côté, l’essence elle-même et, de l’autre côté, l’existence actuelle mise à part de l’essence, il peut ne les pas composer vraiment entre elles ; il peut ne pas dire : Cette essence-là possède cette existence-ci. Cette composition véritable s’accomplit, au contraire, d une manière nécessaire toutes les fois que deux choses diffèrent seulement au point de vue de la raison. C’est pourquoi nous avons dit que l’essence et l’existence ne diffèrent pas seulement au point de vue de la raison, mais encore par l’intention, »

Le second excès, celui qui consiste à séparer l’essence de l’existence aussi réellement que la substance est séparée de l’accident où la matière de la forme, c’est celui dans lequel ont versé tous les grands philosophes arabes, Avicenne, Al Gazâli, Averroès. « La créature[2] ne possède pas l’existence par son essence,

1. Henbici a Gandavo Quodltbeta ; quodlib. 1, quæst. IX ; éd. cît., fol. VII, verso.

2. Henri de üanjo, loc. cil. ; éd. cit., fol. VJI, recto.

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