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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

monts essentiels de la Métaphysique d’Avicenne ; la distinction que cette Métaphysique mettait entre l’essence et l’existence n’était plus justifiée ; la théorie de la dualité qui, en toute créature, sépare l’essence de l’existence demandait à être reprise à partir de nouveaux principes ; Henri de Gand allait, avec une incessante persistance, s’adonner à cette tâche.

La première question posée à son attention était celle-ci : De cette distinction entre l’essence et l’existence, quelle est l’exacte valeur ? L’essence est-elle réellement séparable de l’existence ? La séparation entre l’essence et l’existence, au contraire, est-elle une simple opération intellectuelle sans fondement dans la réalité ? Henri de Gand trouvait devant lui ces deux partis extrêmes.

Le premier est celui qu’avait embrassé Platon et dont il avait poussé les tendances à l’extrême ; pour le Platonisme, l’homme essentiel, c’est-à-dire l’idée de l’homme, avait une existence à lui, éternelle, indépendante de l’existence éphémère accordée à chacun des hommes individuels.

Le second est celui que Siger de Brabant adoptait en sa plénitude. L’essence implique l’existence, disait-il[1]. « À ce qui constitue la nature humaine, il appartient d’exister tout court, et non d’exister en un temps déterminé comme Socrate et Platon. De ratione humanæ naturæ est quod ipsa sit ens simpliciter, non pro determinato tempore, sicut Socrates et Plato. » Partant, si quelque homme n’existe pas, il n’y a pas de nature humaine.

Entre ces deux doctrines extrêmes, bien des doctrines intermédiaires venaient prendre place, qui s’approchaient plus ou moins de l’un ou de l’autre des extrêmes.

Avicenne et Al Gazâii semblaient considérer que l’existence, réellement distincte de 1 essence, vient s’adjoindre à celle-ci comme la forme s’unît à la matière ou comme l’accident se lie à la substance.

Saint Thomas d’Aquin attribuait à l’essence une manière d’être distincte de l’existence multiple qu’elle a dans les divers individus ; mais cette autre existence de l’essence, c’était simplement, à son gré, celle qu elle a dans l’intelligence qui la conçoit.

C’est aussi une position intermédiaire entre les deux thèses extrêmes qu’Henri de Gand veut occuper.

« L’existence de la créature, dit-il[2], ne diffère pas réellement

1. StGEiu DE Bbabantia Quæstio ulrum h&c sit aéra : Homo est animal uullo homme existenle (P. Mandonnet, Siger de Brabant, a» partie, p. 68).

2. Henhici a Gandavo Qaodlibeta qtiodlib. primum, quæst. IX : Utrum creatura ipsa sit suum esse. Ed. cit., fol. Vit, verso.

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