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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

leurs, les intelligences séparées et les âmes étaient assimilables aux anges ; aux moteurs conjoints, Averroès ne refusait pas le nom d’âmes, car il leur accordait ccs deux facultés, la connaissance et le désir du bien, facultés d’où provenait le mouvement. À toutes ces doctrines, où la volonté libre des moteurs célestes n’est point admise, Henri de Gand fait cette objection : « La connaissance (intellectus) ne meut point, si ce n’est à titre de fin, car elle meut seulement par l’objet désirable dont elle a acquis la compréhension ; or la fin n’est point vraiment le principe immédiat de l’action ; c’est seulement par métaphore qu’on dit : le mouvement vient de la tin (sed motus a fine metaphorice)… La connaissance ne meut qu’à titre de fin, en présentant l’objet qui sera désiré et voulu ; lors même que la fin serait le premier moteur, elle n’est pas le moteur prochain et immédiat. »

C’est encore un des principes les plus essentiels du Péripatétisme qui se trouve rejeté par ces lignes où l’on déclare que la cause finale n’est point cause motrice, si ce n’est par métaphore ; une telle affirmation ruine toute la théorie des causes développée par Aristote, toute la doctrine exposée, au XIe livre de la Métaphysique, touchant les moteurs des cieux.

Selon toutes les philosophies qui ont raisonné sur le mouvement des cieux, l’action de l’ange moteur, l’action qui provient de la seule connaissance d’un objet désirable et de l’appétit qui suit cette connaissance, serait une action déterminée sans ambiguïté, aussi dénuée do libre arbitre que l’action d’une forme naturelle ; l’ange meut nécessairement de même que la chaleur échauffé nécessairement. Ceux, d’ailleurs, qui professent une telle doctrine s’efforcent d’étendre jusqu’à l’homme un déterminisme tout aussi rigoureux.

« Nous, nous tenons le parti contraire, et cela d’une manière universelle, pour Dieu, pour les anges et pour les hommes. Nous affirmons que la connaissance ne détermine aucunement l’action à produire, de telle manière que cette action résulte nécessairement de la détermination imposée à la volonté. Cette détermination forcée ne se rencontre ni en Dieu, comme nous l’avons dit ailleurs, ni dans les anges, ni dans les hommes. Aussi bien en Dieu que dans les anges et dans les hommes, la détermination de l’action provient de la seule volonté. En Dieu, le principe prochain de la création des choses et de l’action qu’il exerce sur tous les êtres qui sont hors de lui, dans les anges et dans les hommes, le principe prochain des actions qui leur sont propres, c’est la volonté se déterminant suivant un libre arbitre. »