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HENRI DE GAND

choix libre ; l’acte créateur est identique avec la science de Dieu, et cette science est nécessaire. Le choix libre se peut rencontrer dans un être imparfait qui tend à acquérir une chose dont il attend un surcroît de perfection ; il serait incompréhensible de la part d’un être parfait. Dieu ne peut, par désir et choix, vouloir un Monde dont il ne saurait attendre aucun bienfait.

Développée avec une sorte de prédilection par la Philosophia Algazelis, cette doctrine avait déjà provoqué l’indignation de Guillaume d’Auvergne. Henri de Gand, à son tour, va la combattre[1] ; « contre clic, en effet, est l’affirmation d’un certain article condamné par feu Étienne, évêque de Paris[2] ; cette condamnation dit : Que Dieu fasse d’une manière nécessaire tout ce qui est immédiatement fait par lui, c’est une erreur. »

La théorie soutenue par Henri de Gand peut se résumer en ces termes :

« Le but de la volonté divine, c’est le Bien parfait, c’est-à-dire Dieu lui-même. Dieu veut donc d’une manière nécessaire ce Bien et tout ce qui a avec ce Bien un rapport nécessaire ; telles sont toutes les choses qui sont en l’essence divine. Mais Dieu ne veut pas d’une manière nécessaire les choses qui n’ont avec le Bien parfait qu’un rapport accidentel ; telles sont toutes les choses qui existent hors de lui ; sa bonté, en effet, ne reçoit de ccs choses aucun accroissement ; Dieu ne veut donc aucune de ccs choses d’une manière nécessaire ; or il ne fait que ce qu’il veut ; rien donc de ce qui existe hors de lui, il ne le fait d’une manière nécessaire. »

Pour préciser sa pensée, Henri de Gand a recours à une distinction qui va prendre en sa Philosophie plus d’importance encore qu’elle n’en avait en la philosophie de Saint Thomas d’Aquin ; nous voulons parler de la distinction entre l’essence et l’existence des choses créées.

L’essence de chaque chose a une relation nécessaire avec l’essence divine ; c’est en cette essence divine qu’elle trouve sa perfection idéale. Dieu veut donc d’une manière nécessaire toutes les essences.

Il en est autrement de l’existence de chacune de ccs essences.

Considérée en elle-même, une essence possède seulement la non-existence, car elle ne peut recevoir l’existence que par l’ac-

  1. Henrici a Gandavo Quodlibeta ; quodlib. V, quœst. IV : Utrum Deus necessario producat quicquid exterius immediate producit. Ed. cit., fol. CLVIII, recto, à fol. CLIX. verso.
  2. Cet article est le 53e du décret de 1277 et le 20e de la liste classée par le R. P. Mandonnet.