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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

souvent répété, ne pouvait manquer de faire reconnaître, peu à peu, tout ce que ces principes renfermaient de caduc, d’ébranler l’autorité qu’ils avaient, tout d’abord, imposée à l’aveugle confiance de la chrétienté latine.

L’œuvre qui fut ainsi accomplie était de destruction critique bien plutôt que de construction dogmatique. Il se trouva cependant un docteur de raison assez forte pour tenter la formation d’une nouvelle synthèse ; nous avons nommé Henri de Garni.

L’École franciscaine, dont Saint Bonaventure et Roger Bacon sont les très illustres représentants, semblait entièrement gagnée à la doctrine de la superposition des formes telle qu’Avicébron la présentait. Il n’en faudrait pas conclure que tous les adversaires du Thomisme fussent conquis à cette théorie des degrés des formes, comme on disait alors ; nous en aurons la preuve en étudiant l’enseignement de celui qui paraît avoir été, en 1277, le plus éminent des conseillers réunis par Étienne Tempier ; nous avons nommé Henri de Gand.


A. La liberté de Dieu et la non-éternité du Monde.


D’Henri de Gand, nous entendrons des déclarations très fermes contre les thèses d’Avicébron ; mais ce que nous verrons d’abord et surtout en ses Quodlibeta[1], c’est une réfutation très minutieuse de la Métaphysique d’Avicenne.

L’un des dogmes essentiels de la Métaphysique d’Avicenne et d’Al-Gazâli est le suivant :

Le Monde tient son existence de Dieu ; mais en l’acte créateur qui lui confère cette existence, il n’y a rien qui ressemble à un

  1. Quodlibela Magistri Henrici Gœthals a Gandavo doctoris Solemnis : Socii Sorbonici : et archidiaconi Tornacensis, cum duplici tabella. Vænundantur ab lodoco Badio Ascensio, sub gratia et privilegio ad finem explicandis. Colophon : In chalcographia Iodoci Badii Ascensii. Cui Christianissimus Francorum rex concessit de singulari gratis privilegium et auctoritatem imprimendi et vendendi in regno suo hec et alia Magistri nostri Henrici de Gandavo opera : cum defensione ne alius quispiam audeat eadem imprimere aut impressa aliubi vænundare sub pœna confiscationis sic impressorum intra triennium ab undecimo Kalendas Septemb. Anni domini MDXVIII. Vt constat per literas patentes regio sigillo obsignatas et concessas presente Reverendo in Christo patre domino Episcopo Parrhisien, et pluribus aliis : subsignante Pedoyn.

    Selon le P. Ehrle, S. J. [Beiträge zu den Biographien beruhmter Schkolastiker. Heinrich von Gent (Archiv für Litteratur und Kirchengeschichte des Mittelalters, Bd. I, 1885, pp. 385 sqq.)], les quinze quodlibets de Henri de Gand se répartissent de l’année 1276 à l’année 1291 ou 1292, à raison d’un par année, à peu près. D’une manière précise, le premier quodlibet fut discuté en 1276 à l’époque de Noël ; le second, en 1277, à la même époque ; le troisième, en 1278, au temps de Pâques ; le neuvième fut discuté en 1286 ; le quinzième et dernier doit être daté de Noël 1291 ou de Pâques 1292.