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CHAPITRE II
HENRI DE GAND

I
Henri de Gand


En 1274, Thomas d Aquin et Bonaventure étaient morts ; cette mort enlevait à la philosophie ses deux maîtres les plus illustres, ceux qui incarnaient, en quelque sorte, les deux pensées entre lesquelles cette philosophie se partageait, la pensée péripatéticienne et la pensée augustinienne.

Privée de ses chefs, la Scolastique se trouvait, en même temps, livrée à des luttes intestines d’une extrême violence. Les condamnations portées, en 1277, à Paris par Étienne Tempier, et à Oxford par Robert Kilwardby, provoquaient d’aigres querelles ; elles armaient les uns contre les autres les frères de Thomas d’Aquin et les frères de Bonaventure, les Dominicains et les Franciscains.

La Philosophie des Latins allait-elle s’émietter en disputes de détail, en combats d’ordre à ordre, de maître à maître ? On eût pu le craindre. Il n’en fut rien. Les hommes que ces discussions mirent aux prises n’étaient pas, pour la plupart, des gens soucieux de leur vanité ou de leur intérêt ; c’étaient des chercheurs de vérité. L’agitation à laquelle les Universités de Paris et d’Oxford se trouvèrent en proie eut un autre effet, et plus utile, que de mettre des passions en branle ; elle remua des idées.

La controverse dont le Péripatétisme et le Néoplatonisme arabe furent alors l’objet contraignit les maîtres à reprendre un à un les principes de ces philosophies et à les considérer avec attention sous toutes les faces. Un tel examen, si minutieux, si varié, si