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LA RÉACTION DE LA SCOLASTIQUE LATINE

catur per esse) ; ainsi en est-il de l’homme, c’est-à-dire de l’espèce, et de cet homme, c’est-à-dire de l’individu. »

En identifiant l’individuation à l’être, ce n’est pas à son maître Bacon que notre auteur nous fait songer, puisque Bacon refusait d’examiner la question de l’individuation, qu’il tenait pour sotte question ; c’est à Saint Thomas d’Aquin, qui en était venu, lui aussi, à admettre cette identité.

En dépit des influences thomistes auxquelles il semble parfois se soumettre, l’auteur de la Summa philosophiæ, par l’ampleur avec laquelle il a développé la doctrine d’Avicébron, mérite de prendre place dans la tradition franciscaine. Le Platonisme qu’il professe et défend avec ardeur contre les objections d’Aristote, accroît d’ailleurs, les titres qu’il a à occuper cette place ; mais examiner ses opinions touchant l’existence des idées serait lui accorder une trop longue attention.

D. Raymond Lull.

La plupart des œuvres produites par l’activité scientifique de Raymond Lull ont vu le jour bien après la mort de Saint Bonaventure, partant, bien après l’année où Roger Bacon composa l’Opus tertium. C’est donc plus tard, que nous aurons à étudier les tendances diverses qui se manifestent dans ces œuvres. Toutefois, certains écrits du bouillant franciscain catalan doivent être reportés à une époque antérieure aux condamnations de Paris, et placées, donc, auprès de ceux que nous venons d’étudier. De ce nombre est un petit traité intitulé le Livre des anges (Libre de ángels), rédigé en ce dialecte catalan, mélangé de provençal, que l’on parlait à Majorque au temps de Raymond. M. Probst qui, d’après un manuscrit conservé à la Bibliothèque royale de Munich, en a publié trois chapitres[1], donne ce traité comme ayant été rédigé à Majorque en 1275.

L’influence d’Avicébron transparaît clairement au Libre de ángels, mais elle ne se développe pas en un système complet et logiquement coordonné, ainsi qu’elle faisait au Tractatus de generatione composé par Bacon ; l’occasion lui manque, d’ailleurs, d’un semblable développement, puisque Raymond Lull porte seulement son attention sur un problème particulier, la constitution de la substance angélique.

  1. Jean Henri Probst, Caractère et origine des idées du Bienheureux Raymond Lull, Toulouse, 1912 ; pp. 329-332.