Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/127

Cette page n’a pas encore été corrigée
117
LA RÉACTION DE LA SCOLASTIQUE LATINE

« En la constitution d’une espèce spécialissime, on voit nécessairement se réunir une multitude de formes ; par exemple, en la constitution de l’homme, se réunissent la forme de la substance en général, la forme de la corporéité, la forme de l’animalité, enfin celle de la rationalité. Dès lors, comme ces formes se succèdent dans un certain ordre, on peut se demander s’il y a addition ou superposition de ces formes les unes aux autres, ou bien, au contraire, s’il n’y a pas, par une forme, perfection qui confère un complément d’acte à une autre forme qui existait d’une existence incomplète.

» Seules, les formes qui existent de l’existence simplement spécifique peuvent être dites avec vérité des essences complètes ; les formes générales, au contraire, ne sont que des essences incomplètes ; depuis la première forme générale jusqu’à celle qui correspond au genre ultime, toutes ces formes sont, pour la raison, différentes les unes des autres ; mais toutes les formes générales qui, dans la ligne des prédicaments, sont supérieures à la forme de l’espèce, se trouvent essentiellement unies en cette dernière ; aussi Avicenne dit-il que c’est par une seule et même forme que le feu est feu, et corps, et substance. Sinon, une même chose aurait plusieurs formes substantielles et plusieurs essences, et la forme véritablement substantielle, qui achève une chose composée, serait nécessairement une forme accidentelle, ce qui est impossible…

» Que ces formes soient différentes les unes des autres, tout en étant unies dans la forme spécifique, en voici un signe : Lorsque la forme spécifique vient à être détruite, la forme du genre subsiste ; ainsi, la forme qui caractérise l’espèce âne (asinitas) étant détruite, la forme de corporéité et la forme de substance persistent, bien que sous une autre façon d’être.

» De même, suivant la voie de la génération, une chose est corps avant d’être homme… En effet, toute chose qui vient à l’existence par la voie de la génération et du mouvement est, même dans le temps, d’une existence potentielle incomplète avant d’être d’une existence actuelle complète. Ainsi, non seulement par nature, mais encore, selon la voie naturelle, dans le temps, la forme du genre précède l’existence de la forme spécifique en la matière, ou son existence en acte individualisé ; et la forme du genre le plus universel dans la catégorie de la substance, en laquelle toutes les formes spécifiques sont latentes et en puissance, les précède toutes. Ainsi cette perfection successive des formes, qui part de la forme généralissime, s’élève aux formes