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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

les dimensions sont consécutives à la matière, non pas lorsqu’elle existe d’une manière actuelle sous toute forme, mais lorsqu’elle existe sous la forme corporelle. »

« La matière des éléments[1]… n’est pas seulement disposée par la substantialité générale et par la corporéité ; elle l’est encore par une forme plus spécifique et plus particulière que nous pouvons nommer l’élémentarité commune, de même que nous appelons ignéité la forme propre du feu. »

Cette matière successivement informée par la substantialité générale, par la corporéité et par l’élémentarité commune, « c’est la matière première que considère le physicien et qu’il déclare ne pas être commune aux corps célestes d’une part et, d’autre part, aux éléments susceptibles de génération et de corruption. Il est donc vrai que la transmutation de ceux-ci en ceux-là ou inversement est impossible ».

« On voit manifestement[2], parce qui vient d’être dit, en quel sens il est vrai que la matière première n’est pas commune aux cieux et aux éléments ; comment, cependant, cette matière antérieure par nature à la matière première convient également aux uns et aux autres ; enfin que la matière absolument première existe en tous suivant une essence qui est absolument la même. On voit comment il y a une matière première qui est en puissance de formes substantielles diverses, et une autre qui ne l’est pas, mais qui est seulement en puissance d’un nouvel ubi ou d’une nouvelle situation. »

« Avec raison, donc, Avicenne, qu’Averroès reprend en cette circonstance comme en beaucoup d’autres, a affirmé l’existence d’une matière commune au ciel et aux éléments ; il n’a pas cru que cela fût vrai de la matière qui existe sous la forme élémentaire ou de celle qui existe sous la forme céleste, mais seulement de la matière prise sous la forme du genre qui est commun, d’une manière univoque, au ciel et à l’élément. »

Tout ce que nous venons de rapporter expose, sous la forme la plus nette et la plus détaillée, la doctrine d’Avicébron ; il semble donc que l’on puisse sans hésiter ranger l’auteur de la Summa philosophiæ parmi ceux qui, en une même substance, admettent une pluralité de formes. Peut-être, cependant, se bâterait-on à l’excès si l’on formulait dès maintenant cette conclusion. Voici, en effet, ce que notre auteur écrit à ce sujet[3] :

  1. Lincolniensis Summa, Cap. XLII ; éd. Baur, pp. 313-314.
  2. Lincolniensis Summa, Cap. XLIII ; éd. Baur, pp. 315-316.
  3. Lincolniensis Summa, Cap. LIII ; éd. Baur, pp. 332-333.