Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/121

Cette page n’a pas encore été corrigée
111
LA RÉACTION DE LA SCOLASTIQUE LATINE

que la matière, en s’adjoignant à la forme universelle, fait l’individu, … et c’est là une opinion solennelle ». D’autres proposent encore des solutions différentes. Mais cette question du principe d’individuation a beau avoir pris une grande importance, « c’est une sotte question », que l’on ne doit pas poser et qui ne comporte aucune solution. À celui qui la pose, qui vous demande ce qu’il faut ajouter à l’universel pour obtenir le singulier, demandez, en retour, ce qu’il faut ajouter au singulier pour avoir l’universel. Il n’y a pas plus de raison, en effet, pour chercher un principe d’individuation qu’un principe d’universalisation.

Ce qui est vrai, c’est qu’une substance universelle est composée d’une matière universelle et d’une forme universelle et que, de même, telle substance particulière est formée de telle matière particulière et de telle forme particulière. Il y a plus, la hiérarchie de substances, de matières, de formes que nous trouvons en un composé universel, nous la retrouvons exactement en un composé singulier, seulement, il s’agit ici de matières, de formes, de substances singulières, et là de matières, de formes, de substances universelles. L’homme universel est animal universel, être vivant universel, mixte universel, corps sublunaire universel, corps universel, substance universelle ; de même, tel homme particulier est tel animal particulier, tel être vivant particulier, tel mixte particulier, tel corps sublunaire particulier, telle substance particulière ; cette comparaison entre tel homme particulier et l’homme universel, on la peut reprendre entre la matière de tel homme particulier et la matière universelle de l’homme, entre la forme de tel homme particulier et la forme universelle de l’homme. A côté des tableaux où il a figuré les subdivisions dichotomiques de la forme première universelle, de la matière première universelle, de la substance composée première et universelle, Bacon[1] trace des tableaux tout semblables où il montre comment se subdivisent telle matière première particulière, telle forme première particulière, tel composé premier particulier.

En commençant l’exposition de cette théorie de l’individuation, Bacon a fait une très reconnaissable allusion au traité De ente et essentia de Thomas d’Aquin ; peut-être est-ce de ce traité qu’il a reçu Je premier germe de son opinion ; Thomas, en effet, y avait distingué deux matières humaines, une matière déterminée

1. Rogeri Bacon Op. laud., Pars secunda, Dist. Il, Cap. 5m, éd Robert Steele, pp. 87-89.

  1. 1