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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

La matière, poursuit Bacon[1], « n’est donc pas numériquement une en des composés multiples ; toutes les différences intermédiaires lui ajoutent quelque chose jusqu’à ce que l’on parvienne à la matière ultime qui est la plus spéciale ; ainsi en est-il pour la forme et pour le composé, Il en résulte, comme pour la forme et le composé, qu’il existe une matière spécifique commune ; et aussi une matière extrêmement générale qui est commune à toutes les matières, qui en est la tête, de même qu’il y a une certaine forme qui est la tête de toutes les formes et un certain composé qui est la tête de tous les composés. »

Tout en demeurant une en son essence, la matière est ainsi multiple en son existence, car « elle est affectée de différences qui la divisent et la spécifient comme elles divisent et spécifient la forme et le composé…

» Des différences et des degrés de matière sont ajoutés à la matière la plus générale de la même manière qu’il arrive pour la forme ; la matière commune doit donc être divisée et spécifiée par des différences successives, comme cela a lieu pour la forme…

» Ce n’est pas de la forme spécifique que la matière du genre est en puissance ; c’est de la matière spécifique. De meme que la forme générique est en puissance de la forme spécifique, de même la matière générique est en puissance de la matière spécifique. De même qu’une forme peut être appelée matérielle à i’égard d’une autre, en ce qu’elle est moins complètement spécifiée que celle-ci, de même une matière peut être dite formelle à l’égard de la matière générique parce qu’elle la complète et la spécifie ; cela est évident ; si l’on attribue, en effet, à une forme incomplète, le nom et le rôle de matière parce qu’elle est en puissance, ce qui est la condition de la matière, de même pourra-t-on attribuer à une matière le nom et le rôle de forme, parce qu’elle est apte à compléter une autre matière qui est en puissance ; car le propre de la forme, c’est d’être cc qui complète autre chose. Ainsi donc la matière spécifique complétera la matière générique comme la forme spécifique complétera la forme générique. »

Nous retrouvons ici, sous une forme plus explicite et plus précise, ce que Saint Bonaventure nous avait laissé entrevoir au sujet des raisons séminales.

De ce que nous venons de dire découle évidemment cette conséquence : Bacon subdivisera les matières de la même façon qu’il a

  1. Bacon. Op. laud., Pars secunda, Dist. I, Cap. 3m, in quo magis probatur communitas materie per rationes particulares, Ed. cit., p. 54.