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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

généralité, mais seulement comme le terme ultime de l’analyse (resolutio) physique. »

Comme Avicébron, Saint Bonaventure admet[1] l’existence d’une matière première dont la matière des corps célestes et la matière des corps sublunaires dérivent toutes deux par voie de spécialisation ; cette matière commune aux cieux et aux corps qui naissent et périssent, il l’identifie à la materia informis, à cette matière presque dénuée de forme qui fut, au gré de beaucoup d’Augustiniens, la première des créatures du Monde sensible. Pendant la période chaotique, avant que le ciel eût été créé, la matière qui devait être plus tard la matière céleste était la même que la matière des éléments ; elle était revêtue alors d’une forme imparfaite ; mais une fois le Ciel produit, la matière dont il est constitué s’est trouvée revêtue d’une forme incorruptible, tandis que la matière des éléments recevait une forme susceptible de disparaître pour être remplacée par une autre forme.


B. Roger Racon.


Saint Bonaventure revêt la pensée d’Avicébron d’expressions coutumières à la Scolastique augustinienne. Roger Bacon lui garde l’apparence qu’elle présentait au Fons vitæ ; il ne fait, pour ainsi dire, que la rendre plus systématique[2].

Nous avons entendu[3] un écho de l’enseignement que Bacon donnait, dans sa jeunesse, alors qu’il était simple maître ès arts à l’Université de Paris ; il était alors, nous l’avons vu, disciple de Saint Augustin et d’Avicébron beaucoup plus que du Stagirite ; écoutons l’expression qu’il donne à sa doctrine après l’avoir longtemps méditée et mûrie sous la bure franciscaine.

Toute substance, tout composé, comme dit constamment Bacon, ne contient que matière et forme ; mais il contient[4] plusieurs

  1. Celebratissimi Patris Domini Bonaventuræ, Doctoris Seraphici, In secundum librum Sententiarum disputata ; dist. XII, pars. II, quæst. I : Utrum cœlestium et terrestrium una sit materia quantum ad esse.
  2. On trouvera de grands développements sur ce sujet dans l’ouvrage suivant : p>Dr P. Hugo Hover S. O. Cist., Roger Bacons Hylomorphismus, als Grundlage seiner philosophischen Anschauungen ; Limburg a. d. Lahn, 1912.

    Cet ouvrage renferme une édition de la IVa pars commnnium naturalisé philosophiæ.

  3. Vide supra, ch. VI.
  4. Liber secundus Communium naturalium Fratris Rogeri. Edidit Robert Steele. Pars prima, Dist, L Cap. 2m, in quo ostenditur quod sicut est unum [compositum] commune omnibus compositis, sic est a parte forme, et similiter a parte materie ; pp. 52-54.