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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

Mais de cette doctrine vraiment conforme à l’esprit du Péripatétisme, une conséquence découlait bien aisément : Si les anges, si les âmes humaines ne sont pas ce qu’Aristote appelait des intelligences, c’est-à-dire des êtres nécessaires, éternels, immuables, dont l’existence ne se peut distinguer de l’essence, dont chacun est unique en son espèce ; si ce sont des êtres créés, qui ont eu un commencement, qui sont soumis au changement, qui peuvent, en une même espèce, compter une multiplicité d’individus, il faut bien qu’en chaque ange, qu en chaque âme humaine, il y ait forme et matière. Nous voici donc ramenés à la conclusion d’Avicébron, non par la méthode du Fons vitæ, mais par la voie du Péripatétisme. C’est bien ainsi que Saint Bonaventure, souvent guidé par Alexandre de Alès, en vient à se ranger parmi les tenants d’Ibn Gabirol.

« Il y a, en tout ange[1], un principe de changement, non seulement de changement de l’être au non être, mais encore de changement de propriété ; il y a, en outre, un principe de passibilité ; il y a encore un principe d’individuation et de limitation ; il y a enfin, en sa propre nature, un principe de composition essentielle [c’est-à-dire de distinction entre l’essence et l’existence] ; je ne vois dès lors cause ni raison par laquelle se pourrait défendre 1’opinion selon laquelle la substance d’un ange, comme, en général, l’essence de toute créature existant par elle-même, ne serait pas composée de [deux] diverses natures ; et d’autre part, si cette substance est composée de [deux] natures différentes, ces deux natures se comportent, à l’égard l’une de l’autre, l’une comme potentielle et l’autre comme actuelle, et, partant, l’une comme matière et l’autre comme forme. Cette thèse semble donc plus vraie que la thèse contraire : En tout ange, il y a composition de matière et de forme. »

Une thèse analogue doit être admise au sujet de l’âme raisonnable de l’homme[2].

« Certaines personnes ont prétendu que ni l’âme de l’homme ni l’âme de la brute n’avait de matière, car l’une et l’autre sont des esprits simples. Ils ont dit[3] cependant, que l’âme raisonnable était composée de quo est et de quod est, parce qu’elle est une chose déterminée (hoc aliquid), naturellement apte à subsister

1. S. Bonaventuræ Op. laud,, lib. II, disk 111, pars 1, art, I, quæst. I-

2. Sancti Bonaventvræ Op. laud., lib, Jl, disl. XI1, art. I, quæst. IL

3. C’est Albert le Grand el Saint Thomas d+Aquin qui sont ici vises. En particulier. largo mental ion de Saint Bonaventure semble une riposte à celle de la eo/tfr# Oenüïes, lib. 11, capp. LU, LÎH et LIV.

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