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LA RÉACTION DE LA SCOLASTIQUE LATINE

juste titre, on n’en saurait douter. Il poursuit alors en ces tonnes :

« Mais, direz-vous, ce qu’on nomme ici matière c’est l’individu même (ipsa hypostasis) ou le simple quod est (ipsum quod est). Or je vous répondrai, au sujet de cette hypostase : ou bien elle comprend quelque chose en sus de l’essence et de la forme (super essentiam et formam) ou bien elle ne contient rien de plus. Si elle ne comprend rien de plus, elle ne contracte pas ; et comme, de sa nature, l’universel est partout et toujours, il en sera de même de l’individu (hypostasis) ; c’est ce que l’on voit clairement par l’exemple des personnes divines ; la personne, ici, ne contieat rien en sus de l’essence ; aussi la personne est-elle partout et sans borne, comme l’essence. Mais l’hypostase de l’ange » — et Saint Bonaventure en dirait autant de toute créature — « est finie, bornée et limitée, elle est en tel temps et en tel lieu (hic et nunc) ; il faut donc qu’en sus de la forme, cette hypostase comprenne quelque chose qui soit propre à borner et qui appartienne à sa substance ; ce quelque chose ne peut être que la matière ».

En ces passages, nous voyons Saint Bonaventure identifier cette dualité : universalité spécifique et principe d individuation, avec cette autre dualité : forme et matière ; à ces deux dualités, il en va ramener encore une troisième, celle de l’essence et de l’existence.

Nous l’avons entendu déjà identifier ces deux termes, forme et essence ; mais nous allons l’entendre affirmer[1] que toute créature « qui est une chose bien déterminée (hoc aliquid), qui est naturellement et de soi apte à subsister… a, en elle-même, le fondement de son existence (existentia), à savoir le principe matériel dont elle tient l’existence (existere) et le principe formel dont elle tient l’essence (esse)… ; car le principe dont provient l’existence fixe (existentia fixa) d’une créature en elle-même est le principe matériel ».

Que la forme soit identique à l’essence universelle commune à tous les individus d’une même espèce ; que la matière soit le principe qui, en s’ajoutant à cette essence, lui confère l’existence que Boëce, que Gilbert de la Porrée ont compris la doctrine péripatéticienne ; c’est bien ainsi qu’on la devait comprendre dès là qu’on la prenait en sa pureté et en sa simplicité, sans y mêler ce qu’Avicenne et Al Gazâli, à partir de principes opposés à ceux du Péripatétisme, avaient enseigné sur l’essence et l’existence.

  1. S. Bonaventuræ Op. laud., lib. II, dist. XVII, art. I, quæst. II.