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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

venture ; seul parmi eux, Jean de la Rochelle[1] niait que l’âme raisonnable de l’homme et que les anges fussent composés de matière et de forme ; sur cette question, les tenants des deux opinions contraires se livraient à des discussions fameuses dans les écoles ; « duplex est celebris opinio », écrivait Pierre de Tarentaise au moment d’exposer lui-même le débat[2].

Nous ne saurions donc nous étonner de voir Saint Bonaventure se lancer en ce débat et prendre parti avec Avicébron[3]. Toutefois, ce qui transparaît en l’enseignement du Docteur Séraphique, c’est bien moins l’influence directe du Rabbin de Malaga que cette influence subie par l’intermédiaire d’Alexandre de Alès ; aussi la doctrine de Bonaventure reflète-t-elle certaines pensées empruntées à Boëce par l’ancienne Scolastique latine.

Comme Alexandre de Aies, Bonaventure admet qu’en toute créature, il y a matière et forme ; et voici comment il justifie ce principe.

Toute créature qui subsiste en soi est une chose individuelle bien déterminée ; elle est hoc aliquid[4], selon l’expression par laquelle Bonaventure traduit le τόδε τι d’Aristote. Cet individu subsistant en lui-même, numériquement distinct des individus de même espèce, il l’appelle hypostase et l’identifie au quod est[5], ce qui est bien conforme à l’intention qu’avaient Boëce et Gilbert de la Porrée lorsqu’ils employaient cette locution : quod est.

Or toute individuation, tire son origine de la matière ; la matière est, en toute créature, le principe nécessaire de l’individuation. « Faisons, dit-il, le raisonnement suivant : Toute distinction numérique vient d’un principe extrinsèque et substantiel, car les choses qui sont numériquement différentes demeurent diverses même si l’on fait abstraction de tous leurs accidents. Mais cette distinction ne vient pas de la forme. Elle vient donc de la matière ».

Pour établir que toute distinction numérique tire origine de la matière, Bonaventure invoque l’autorité d’Aristote ; que ce soit à

1. Ce renseignement est donné par les R. R. P. P, Franciscains de Quaracchi [Doctoris Seraphici S. Bonaventuræ Opera omnia, tomus ii. Ad Claras Aquas (Quaracchi), 1883, p. 93, Scholion, V].

2. Renseignement de même origine que le précédent (Op. laud, t. cit., p. 93, Scholion, IV, 2).

3. On pourra consulter, sur cette question, K. Z i esche, Op. laud. (Philosnphisches lahrbuch, Bd* XXI, pp. 56-71)*

4. Pains Domini Bonauen/uræ, Doctohts Seraphici, In secundum librum Sententiarum disputata, dist. XVII, art. I, quæst. ii : Utrum anima Adæ fuerit producta a materia.

5. S. Bonaventure Op. laud., lib. ii, dist. III, pars I, art. I, quæst. I ; Utrum angeli sint compositi ex materia et forma.

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