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LA RÉACTION DE LA SCOLASTIQUE LATINE

A. Saint Bonaventure.

Déjà, nous avons dit quelle fut, à l’égard de cette tradition, la fidélité de Bonaventure[1]. Comme Avicébron, le docteur franciscain met, en chaque individu, une superposition de formes dont chacune, plus restreinte que la précédente, la détermine davantage. Chacune de ces formes n’est pas une forme complète car elle ne suffirait pas, si elle s’unissait seule à la matière, à déterminer une essence ; elle commence seulement ou continue cette détermination ; elle appelle, en quelque sorte, la forme plus précise qui l’achèvera ; elle est en puissance de cette forme plus précise. A chacune de ces formes incomplètes qui se trouve en puissance d une autre forme, Bonaventure donne le nom de raison séminale qu’il emprunte à saint Augustin ; mais si son langage rappelle celui de l’Évêque d’Hippone, sa pensée est celle du Rabbin de Malaga. À cette pensée, le Docteur Séraphique apporte un complément quelle semblait réclamer ; une dernière raison séminale, plus étroite que toutes les autres, vient affecter le composé qui a reçu toutes les formes jusqu’à la forme spécifique et lui conférer l’existence individuelle.

Il serait difficile de suivre la doctrine d’Avicébron touchant la hiérarchie des formes qui se superposent les unes aux autres et de ne point adopter la doctrine en laquelle ce philosophe décrit l’ordre des diverses matières ; ces deux théories sont, pour ainsi dire, la contre-partie lune de l’autre ; nous devons donc nous attendre à ce que Bonaventure pense comme lbn Gabirol au sujet de la matière.

Attribuer une matière commune aux cieux et aux éléments ; mettre une matière même au sein des créatures spirituelles, de l’àme raisonnable de l’homme comme des anges, tels sont les deux caractères qui marquent d’une empreinte particulièrement reconnaissable la théorie professée au sujet de la matière par Avicébron.

Ces caractères, nous les avons retrouvés, profondément gravés, dans l’enseignement d’Alexandre de Alès ; on les discernerait dans la doctrine de la plupart des maîtres franciscains qui furent ses contemporains et les prédécesseurs immédiats de Saint Bona-

1. Au sujet des doctrines de Saint Bonaventure, voir : K. Ziesché, Die Naturlehre Bonaventuras (Philosophisches Iahrbuch. Bd. XIII, 1900, p- ■ : Bd. XXI, igoS.’ p. 56 et p. >56). L’étude de la pluralité des formes substantielles selon Saint Bonaventure est faite au Bd. XXI, pp. 77-82. Celle des raisons séminales, au même volume, pp. 169-189.

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