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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

IX

La tradition d’Avicébron chez les Franciscains. Saint Bonaventure, Roger Bacon, Raymond Lull

Dès l’instant où les premiers traducteurs avaient révélé aux maîtres de la Scolastique latine les principaux écrits philosophiques que possédaient les Arabes, la méfiance des écoles chrétiennes avait était mise en éveil par les tendances hétérodoxes de la plupart de ces livres ; un seul traité, le Fons vite d’Avicébron, s’était trouve, tout d’abord, exempt de cette suspicion. Après l’avoir traduit, Dominique Gundisalvi s’en était grandement inspiré en rédigeant ses propres ouvrages ; Gilbert de la Porrée en avait, sans doute, fait autant lorsqu’il commentait Boëce ; Guillaume d’Auvergne, en l’auteur, avait cru reconnaître un chrétien ; Alexandre de Aies avait emprunté au Fons vite plusieurs de ses théories favorites. Un écho de philosophie augustinienne qui s’était, probablement, réfléchi et renforcé en passant par le De divisione naturæ de l’Érigène, résonnait encore en cet ouvrage ; et les maîtres de Chartres et de Paris prêtaient volontiers l’oreille à ces accords où ils retrouvaient une mélodie qui leur était, depuis longtemps, familière.

Après la mort d’Alexandre de Alès, la faveur dont avaient joui les doctrines essentielles d’Ibn Gabirol ne fit que croître auprès des Franciscains. Entre les philosophes de cet ordre et les Péripatéticiens chrétiens dont Thomas d’Aquin était le maître, la lutte était surtout ardente autour de cette question : Y a-t-il. en un même individu, une ou plusieurs formes substantielles ? L’attitude prise en ce débat, déterminait, d’une manière forcée, le parti qu’il fallait tenir en une foule d’autres circonstances. Or si la thèse de l’unité de la forme substantielle était, assurément, sinon celle d’Aristote, du moins celle de son commentateur Averroès, la thèse de la mutiplicité des formes jouait un rôle essentiel en la doctrine d’Avicébron. On peut donc dire que la grande bataille philosophique dont les écoles furent le théâtre en la seconde moitié du xiiie siècle et qui aboutit aux condamnations de 1277 était, surtout, un corps-à-corps entre l’Averroïsme et la tradition d’ibn Gabirol.