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LA KABBALE


III
LA NATURE DE DIEU. LA DUALITÉ DIVINE

S’il est un sujet que le Zohar traite d’une manière singulièrement confuse, c’ast assurément la nature de Dieu ; plus on lit cet ouvrage, plus on désespère d’en tirer, touchant l’unité et la trinité divines, une doctrine précise ; on se convainc, bien plutôt, qu’une pensée primitive assez simple s’est, plus tard, efforcée vers une forme plus détaillée ; mais ces efforts, poussés en des directions différentes, ont produit des théories multiples ; et ces théories alternent les unes avec les autres dans les divers passages du Zohar, lorsqu’elles ne viennent pas, dans un même passage, se mêler entre elles d’une manière inextricable. Chacun des aspoets, chacune des hypostases ou personnes que les Kahbalistes considèrent au sein de l’essence divine reçoit une multitude de noms variés, sous lesquels son identité se cache ; et, d’autre part, un même nom désigne, et parfois à quelques lignes de distance, deux hypostases différentes. Démêler jusqu’au bout et sans incertitude cet écheveau brouillé comme à plaisir serait œuvre de longue et minutieuse patience ; cette œuvre, nous ne nous piquons pas de l’accomplir, mais nous nous proposons d’indiquer comment on la pourrait mener à bien.

Au point de départ des considérations du Zohar sur l’essence divine, il nous faut, semble-t-il, mettra un premier enseignement. Cet enseignement développe une pensée, que nous trouverions également, plus ou moins explicite, dans la traduction chaldaïque de lu Bible donnée par Onkelos, dans les œuvres de Philon, dans les Livres sapientiaux ; voici cette pensée :

En Dieu, il convient de distinguer doux aspects ; on doit considérer, en premier lieu, Dieu tel qu’il est en lui-même, tel qu’il était avant qu’il eût créé le Monde et qu’il en fût devenu le roi ; on doit, en second lieu, considérer Dieu tel qu’il se manifeste à nous dans ses œuvres et par ses œuvres.

Sous le premier aspect, Dieu est essentiellement inaccessible à toute raison, il échappe à toute connaissance, il défie toute détermination ; pour dire à quel point l’essence divine est insaisissable, les Kabbalistes rivalisent avec les Néo-platoniciens et avec Denys. Pour soustraire l’Un à toute détermination, Proclus le plaçait même au dessus de l’Être ; le faux Aréopagite lui faisait écho, et