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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

de donner à chacune d’elles une pureté, une précision dont elle était peut-être privée même avant tout mélange.

Les innombrables rabbins qui ont, au cours des âges, collaboré à la production du Zohar n’étaient aucunement, en effet, chercheurs d’idées claires. Pour ces subtils commentateurs, chaque mot, chaque lettre, chaque point de l’Écriture avait une signification mystique qu’il s’agissait de découvrir. « Malheur, disaient-ils[1] à l’homme qui prétend que l’Écriture ne nous apprend que de simples contes et des choses vulgaires !… Chaque parole de l’Écriture renferme un mystère suprême… Les mystères contenus dans l’Écriture, à l’aide desquels tous les mondes furent créés, ne pouvaient descendre ici-bas que revêtus d’une enveloppe. Le sms littéral de l’Écriture, c’est l’enveloppe ; et malheur à qui prend cette enveloppe pour l’Écriture elle-même ! Un tel homme n aura pas de pari dans le monde futur… Malheur aux coupables qui prétendent que l’Écriture n’est qu’une simple narration ! Ceux-là n’en voient que l’habit. Comme le vin ne se conserve que dans une cruche, l’Écriture ne se conserve que dans son habit. Aussi convient-il de regarder ce qui se cache derrière l’habit ; car toutes les paroles de l’Écriture, ainsi que tous ses contes, ne sont que des habits ».

Afin de découvrir ce qui se cache derrière l’habit, nos commentateurs emploient toute l’ingéniosité de leur esprit juif : leur imagination orientale jaillit à flots débordants. Aussi voyons-nous les comparaisons les plus inattendues, les allégories les plus compliquées, se dérouler et s’enchevêtrer tour à tour ; et nos veux, éblouis par le chatoiement de toutes ces figures, deviennent inhabiles à reconnaître les pensées qu’elles prétendent exprimer.

Au travers de cette végétation luxuriante et touffue des imagos, nous nous sommes efforcé de saisir et d’amener au grand jour quelques doctrines qui nous ont paru l’essence même de la philosophie kabbalistique. Si noitre raison de Chrétien d’Occident s’est trouvée, parfois, déconcertée et déçue par les mirages des traditions rabbinique, que le lecteur nous excuse.

  1. Zohar, III, foL 152a ; t. V, pp. 390-391.