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LA KABBALE

dont nous combattons l’opinion, il ne pouvait pas ignorer que Simon ben Jochaï et ses amis sont comptés parmi les auteurs de la Mischua ; et quoique le dialecte de Jérusalem fût probablement leur langue habituelle, il était plus naturel de les faire écrire en hébreu…

» D’ailleurs, nous savons avec une entière certitude que Moïse de Léon a composé en hébreu un ouvrage kabbalistique, ayant pour titre : Le Nom de Dieu, ou simplement : Le Nom. Cet ouvrage, qui existe encore en manuscrit, Moïse Corduero l’a eu sous les veux ; il en rapporte plusieurs passages d’où il résulte que c’était un commentaire très détaillé et souvent fort subtil sur quelques-uns des points les plus obscurs de la doctrine enseignée dans le Zohar… Or, comment supposer qu’après avoir écrit le Zohar dans le dialecte chaldaïco-syriaque, soit pour en augmenter l’intérêt par les difficultés du langage, soit pour en rendre la pensée inaccessible au vulgaire, le même homme ait cru devoir ensuite l’expliquer, le développer en hébreu, et mettre à la portée de tous ce qu’au prix de tant de soins, de tant de labeurs, il avait caché dans une langue presque tombée dans l’oubli parmi les savants eux-mêmes ? Dira-t-on que, par ce moyen, il était encore plus sûr de donner le change à ses lecteurs ? En vérité, c’est trop de ruse, trop de temps dépensé, trop de patience et d’efforts pour le misérable but qu’on l’accuse de s’être proposé ; ce sont des combinaisons trop savantes et trop compliquées pour un homme qu’on accuse en même temps des plus stupides contradictions, des plus grossiers anachronismes. »

Dans son Livre des Généalogies, le savant rabbin Abraham Zaccut, qui écrivait vers la fin du xve siècle, nous fait connaître son opinion[1] sur la composition du Zohar : « Le Zohar dont les rayons éclairent le monde, qui renferme les plus profonds mystères de la Loi et de la Kabbale, n’est pas l’œuvre de Simon ben Jochaï, bien qu’on l’ait publié sous son nom. Mais c’est d’après ses paroles qu’il a été rédigé par ses disciples, qui confièrent eux-mêmes à d’autres disciples le soin de continuer leur tâche. Les paroles du Zohar n’en sont que plus conformes à la vérité, écrites comme elles le sont par des hommes qui ont vécu assez tard pour connaître la Mischna et toutes les décisions, tous les préceptes de la loi orale. Ce livre n’a été divulgué qu’après la mort de R. Moïse ben Nachman et de R. Ascher qui ne l’ont pas connu ». Or Moïse ben Nachman, après avoir passé la plus grande

  1. Citée par Ad. Frank, Op. laud., p. 66.