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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

D’interminables discussions se sont élevées, depuis longtemps, touchant l’auteur du Zohar et l’époque où ce livre fut écrit.

Les Kabbalistes, dont la foi mystique nuit à l’esprit critique, tiennent le livre tout entier pour œuvre de Simon ben Jochaï, encore qu’une des parties qui le composent, l’Idra zouta kadischa, soit expressément donnée comme le recueil des discours que Simon ben Zochaï tint à ses disciples au jour de sa mort.

Il s’est rencontré de bonne heure, parmi les Juifs, des personnes qui n’ont pas voulu concéder au Zohar, du moins sous sa forme actuelle, un âge et une origine aussi vénérables. Dans sa célèbre chronique intitulée La chaîne de la tradition, le rabbin Guédalia, rapportant, sans les admettre, les opinions de ces personnes, écrivait[1] ; « Vers l’an cinq mille-cinquante de la création (1296 de J.-C), il se trouva diverses personnes qui prétendaient que toutes les parties du Zohar écrites en dialecte de Jérusalem (le dialecte araméen) étaient de la composition de R. Simon ben Jochaï, mais que tout ce qui est en langue sacrée (l’hébreu pur) ne doit pas lui être attribué. D’autres affirment que R. Moïse ben Nachman, ayant fait la découverte de ce livre dans la Terre Sainte, l’envoya en Catalogne, d’où il passa en Aragon et vint entre les mains de R. Moïse de Léon. Enfin plusieurs ont pensé que ce R. Moïse de Léon était un homme instruit, qu’il trouva tous ces commentaires dans sa propre imagination, et qu’afîn d’en retirer un grand profit de la part des savants, il les publia sous le nom de R. Simon ben Jochaï et de ses amis. On ajoute qu’il agit ainsi parce qu’il était pauvre et écrasé de dettes. »

L’hypothèse qui fait du Zohar l’œuvre d’un faussaire, et qui tient Moïse de Léon pour ce faussaire a trouvé grande faveur auprès de nombreux érudits. Ad. Franck l’a vivement combattue ; voici quelques-unes des très fortes raisons qu’il lui oppose[2] :

« Le Zohar est écrit dans un langage araméen qui n’appartient à aucun dialecte déterminé. Quel dessein Moïse de Léon, pouvait-il avoir en se servant de cet idiome qui n’était pas en usage de son temps ? Voulait-il, comme le prétend un critique moderne…, donner plus de vraisemblance à ses fictions, en faisant parler le langage de leur époque aux divers personnages sous le nom desquels il désirait faire passer ses propres idées ? Mais puisqu’il possédait de si vastes connaissances, de l’aveu même des hommes


    gée et complétée, publiée par les soins de Émile Lafuma-Giraud. 6 vol., Paris, 1906-1911.

  1. Cité par Ad. Franck, Op. laud., pp. 66-67.
  2. Ad. Franck, Op. laud., pp. 74-75.