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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

de Jean Scot. Celui-ci[1], en particulier, paraîtra particulièrement net, si l’on veut bien se souvenir que le fils de l’Érin met la Matière première, la ὕλη, au nombre des Raisons primordiales des choses[2]. en sorte que ce qui est vrai des Raisons primordiales en général, l’est aussi de la Matière première.

« Quiconque se livrera à un examen attentif comprendra que ce Monde est constitué suivant un rapport à trois termes.

» Qu’on le considère dans les Raisons par lesquelles il est constitué de toute éternité et dans lesquelles il subsiste essentiellement ; non seulement on reconnaîtra qu’il est spirituel, mais même qu’il est pur esprit. Personne, en effet, parmi ceux qui philosophent bien, ne niera que les Raisons de la substance corporelle ne soient spirituelles et, qui plus est, ne soient esprit.

» Si l’on jette maintenant le regard sur les parties qui se trouvent tout en bas du Monde, sur tous ces corps que composent les éléments catholiques, qui sont soumis à la génération et à la destruction, et, en particulier, sur les corps de nature terrestre ou aqueuse, on n’y trouvera rien qui ne soit corporel, qui ne soit absolument corps.

» Mais si l’on examine la nature des éléments simples, il apparaîtra, plus clair que le jour, qu’ils se tiennent en une sorte de rapport intermédiaire. Un verra qu’ils ne sont pas entièrement corps, bien que tous les corps naturels soient engendrés de la corruption que ces éléments éprouvent en se mélangeant ; qu’ils ne sont pas non plus entièrement exempts de nature corporelle, puisque tous les corps proviennent de ces éléments et se résolvent en ces éléments. On trouvera aussi qu’ils ne sont pas absolument esprits, car ils ne sont pas pleinement séparés de l’extrémité corporelle du Monde ; qu’ils ne sont pas absolument non-esprits, car, des Raisons purement spirituelles, ils tirent les occasions de leur subsistance. »

Venons à l’examen de la dernière circonstance où Ibn Gabirol cite le nom de Platon. Voici le passage où se rencontre cette citation[3] :

« Il faut qu’il y ait trois formes.

» L’une de ces formes est celle qui est dans l’essence de la Volonté ; cette forme-là, bien qu’on la nomme forme, ne l’est que par désignation et appellation, car elle n’est soutenue par aucun sujet ; mais comme son essence est au-dessus de l’essence de la

  1. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. III, cap. 26 ; éd, cit., col. 605.
  2. Cf. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. III, cap. 5 ; éd, cit., col. 636.
  3. Avencebrolis, Fons vitæ, Tract. IV, cap. 20, pp. 255-256.