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SCOT ÉRIGÈNE ET AVICÉBRON

termes, inanis et vacua. La forme survenant, elle est dite visible et composée, solide et achevée, délimitée par les bornes de sa nature. »

« Que la matière informe, donc[1], soit la chose changeante qui peut recevoir les formes, selon Platon et Saint Augustin, ou bien qu’elle consiste, comme le veut Denys, en quelque chose d’informe qui orne, tu ne nieras pas, je pense, qu’elle ne peut être saisie que par l’intelligence, si même elle peut être comprise ?… D’autre part, cette espèce, cette forme, cet ornement auxquels il suffit que participe ce quelque chose d’immuable et de changeant pour se tourner en matière, penses-tu qu’on les puisse considérer autrement que par la vue de l’esprit ?… Tu vois donc bien que de deux choses incorporelles, qui sont le sujet informe capable de recevoir les formes et la forme elle-même, il se crée quelque chose de corporel qui est la matière et le corps. »

« Maintenant[2], nous pouvons percevoir par les sens la matière informée dont le corps est fait ; au contraire, la matière informe est purement intelligible, et, d’autre part, c’est par l’intelligence seule que nous voyons la quantité et la qualité. »

« Il y a donc, en tout corps[3],… trois choses à considérer : En premier lieu, on y doit voir la matière. En second lieu, la forme et l’espèce qui, adjointes à la matière, produisent tout corps solide et sensible ; la matière seule, en effet, privée de toute espèce, ne produit aucun corps, car elle est informe par elle-même ; mais lorsque l’espèce s’y adjoint, le corps complet est engendré. En troisième lieu, l’essence ou la forme substantielle qui, semblable à un fondement immobile, supporte et contient la matière informée. Il est nécessaire, en effet, de distinguer, par le regard de la raison, la forme substantielle de la matière informée. »

Ainsi, Jean Scot Érigène ne cesse d’établir entre deux sortes de matières, la matière informe (materia informis) et la matière informée (materia formata), la distinction qu’Avicébron met au compte de Platon.

Avicébron, d’ailleurs, pousse plus loin cette distinction ; il subdivise la matière informée, de telle sorte qu’entre la matière informe, purement spirituelle, et la matière entièrement corporelle, une matière intermédiaire prenne place. Ici encore, sa pensée semble refléter celle qui brille en maint passage du traité

  1. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. I, cap. 57 ; éd. cit., col. 504.
  2. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. I, cap. 56 ; éd. cit., coll. 499.
  3. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. III, cap. 27 ; éd. cit., col. 701.