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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

a eu en mains des livres qui, sous le nom de Platon, lui apportaient des doctrines émanées d’autres philosophes.

L’une des citations dont nous parlons est la suivante[1] : « Platon a supposé que les formes étaient engendrées dans l’intelligence par le regard (intuitus) de la Volonté, et qu’elles étaient engendrées dans l’Âme universelle par le regard de l’Intelligence universelle ; de la même manière, elles sont engendrées dans la Nature et dans la Substance par le regard de l’Âme universelle. Il a posé la règle selon laquelle les formes intelligibles, c’est-à-dire les concepts et les images, sont formées dans l’âme particulière par le regard que l’Intelligence jette sur cette âme. » Quel est l’auteur néo-platonicien qui se dissimule ici sous le nom de Platon ? Il est malaisé de l’indiquer avec précision, car cette théorie ressemble à des pensées couramment répandues en l’École néo-platonicienne ; le Livre des causes, en particulier, nous en présente le développement ; le nom de Platon pourrait être mis ici, comme en nombre d’écrits arabes, pour celui de Plotin. Un passage de Jean Scot est, d’ailleurs, tout rempli de ces mêmes pensée[2].

Il n’en est pas de même des deux autres enseignements qu’Avicébron met sur le compte de Platon.

Voici le premier[3] :

« Le Maître. — Posons qu’il y a trois matières. L’une est la matière simple spirituelle, la plus simple de toutes, c’est-à-dire celle qui n’a pas revêtu de forme ; l’autre est la matière composée corporelle, qui est la plus corporelle de toutes ; la troisième est la matière intermédiaire.

» Le Disciple. — Il y a ces trois matières que tu viens de définir. Mais qu’as-tu entendu dire par la matière première, qui n’a pas revêtu de forme, et pourquoi as-tu dit cela ?

» Le Maître. — Parce que la matière qui a revêtu la forme est, elle aussi, simple et spirituelle ; mais, comme l’a dit Platon, elle est différente de celle qui n’a revêtu aucune forme. »

Or, au traité De divisione naturæ Jean Scot, nous trouvons des passages tels que ceux-ci :

« Toute créature corporelle et sensible est composée de matière et de forme[4]. La matière privée de forme est dite informe, c’est-à-dire dénuée de forme, invisible et incomposée, ou, en d’autres

  1. Avencebrolis Fons vitæ., Tract. V, cap. 17, p. 289-290.
  2. Joannis Scoti Erigenæ De divisione naturæ Lib. II, cap. 15 ; éd. cit., p. 547.
  3. Avencebrolis Fons vitæ., Tract. IV, cap. VIII, p. 229.
  4. Joannis Scoti Erigenæ De divisione naturæ Lib. II, cap. 16 ; éd. cit., col. 548.