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SCOT ÉRIGÈNE ET AVICÉBRON

Les sources qui ont alimenté la pensée de Jean Scot nous sont fort bien connues. L’Érigène, en effet, ne cherche pas à nous donner son système théologique pour une œuvre que rien n’a préparée. pour une création tirée du néant. Il a, au plus haut degré, le souci très catholique d’insérer sa théorie métaphysique dans la tradition, de le présenter comme le résultat naturel, comme la synthèse des doctrines qui l’ont précédé. Il entoure chacune des propositions qu’il avance de tout ce que l’Écriture on les Pères ont pu dire d’analogue. Son exposition se déroule toute chargée de citations, en sorte que nous n’ignorons rien des inspirations qu’il a recueillies.

Ces inspirations, d’où viennent-elles ? De l’Écriture interprétée, avec la plus audacieuse liberté, dans un sens allégorique ; du Timée commenté par Chalcidius ; des Pères de l’Église, particulièrement de Saint Basile, de Saint Grégoire de Nysse, de Saint Augustin ; enfin de Denys et de Maxime le Confesseur.

Or, lorsque nous parcourons tous ces textes réunis par Jean Scot, voyons-nous la doctrine de celui-ci en jaillir spontanément, avec tous ses traits essentiels, en sorte qu’il eût été facile à tout autre que lui de l’en extraire ? Point du tout. Il nous semble, bien plutôt, que la plupart d’entre eux ont été complaisamment sollicites, afin de fournir des autorités dont se pût réclamer notre métaphysicien ; les efforts par lesquels, aux enseignements traditionnels. il cherche à raccorder ses propres théories ne font que mieux saillir l’extrême originalité de celles-ci. Que, des memes textes, une autre intelligence ait pu tirer une métaphysique toute semblable, c’est une supposition qu’il serait, semble-t-il, insensé de faire.

Quelle hypothèse nous est-il donc permis de supposer, si nous Minions expliquer les analogies du système d’Avicébron avec le système de Jean Scot ? Une seule, c’est que LAuteur du Fons vitæ avait eu connaissance du He divisione nattira ?. C’est, croyons-nous, une proposition qui ne semblera nullement téméraire à quiconque aura pris la peine de comparer les deux ouvrages.

Serait-il possible de pousser plus loin et de découvrir, dans les paroles niemcs dlbn Gabirol, l’avis qu’il tient d’autrui certaines des doctrines où nous reconnaissons la marque de Jean Scot ? Peut-être.

Le seul philosophe que cite Avicébron, c’est Platon ; il le cite à trois reprises et, chaque fois, pour lui attribuer des pensées qui ne sont aucunement de lui. Il est manifeste par là qu’Avicébron