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SCOT ÉRIGÈNE ET AVICÉBRON

« Le Père, en effet, c’est la Substance qui, d’elle-même, a engendré la Substance du Fils et qui a émis la Substance qui procède d’elles ; c’est donc à juste titre qu’on le peut nommer la Substance principale…

» Il est également fort convenable d’attribuer la Virtus à Dieu le Fils, car la Théologie le nomme souvent la Vertu du Père. »

Ailleurs, Jean Scot a fait[1] du Verbe la Forme universelle : « Toute forme, qu’elle soit forme substantielle ou qu’elle soit une de ces formes qui dépendent de la qualité et qui engendrent le corps en s’unissant à la matière, est créée par la Forme de toutes choses, par le Verbe fils unique du Père. »

« Que dirai-je de l’Operatio… ? » reprend-il[2]. « N’est-il pas fort juste de la relier au Saint-Esprit, puisqu’on attribue à cet Esprit, comme une sorte de rôle particulier, l’opération des puissances (virtutum) et des dons divins, la répartition universelle de ces dons aussi bien que la distribution particulière qui en est faite à chaque être ? »


VII
IBN GABIROL A-T-IL CONNU LA DOCTRINE DE SCOT ÉRIGÈNE ?

Telles sont, retracées à grands traits, quelques-unes des pensées essentielles de Jean Scot. Ce croquis sommaire, rapprochons-le de l’esquisse du système d’Ibn Gabirol, telle que nous l’avons rapidement dessinée. Comment la ressemblance des deux métaphysiques pourrait-elle ne pas sauter aux yeux ? Tout ce que Salomon ben Gabirol n’a pu emprunter ni au Livre des Causes, ni à la Théologie d’Aristote, ni aux philosophies des Frères de la Pureté on d’Avicenne, ne le retrouvons-nous pas au Περὶ φύσεως μερισμοῦ ?

Sans doute, ces doctrines, identiques au fond, se présentent à nous sous des aspects différents. La philosophie de Jean Scot est essentiellement platonicienne et essentiellement chrétienne ; Ibn Gabirol l’a revêtue d’un manteau péripatéticien et juif ; mais ce manteau n’est pas si bien drapé que la pensée vivante qu’il recouvre n’en écarte à chaque instant les plis et ne trahisse ses véritables formes.

Lorsque, par exemple, Avicébron décrit la Matière universelle.

  1. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. i, cap. 59 ; éd. cit., coll. 501-502.
  2. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. ii, cap. 23 ; éd. cit., col. 568.