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SCOT ÉRIGÈNE ET AVICÉBRON

sauvegardées au sein de ces essences supérieures, d’y subsister et d’être une seule chose. »

Le Disciple se déclare satisfait des preuves et des explications que le Maître lui a prodiguées. « Je ne cherche point, dit-il[1], de plus nombreuses raisons qui me puissent persuader avec certitude de cette union des substances, de cette union que ne trouble aucune confusion, aucun mélange, aucune composition, qui est exempte de toute transmutation. »


VI
L’ESPRIT-SAINT SELON JEAN SCOT

Entre la théorie que nous venons d’exposer et l’enseignement d’Ibn Gabirol, il n’y a lieu de faire aucun rapprochement. De la doctrine de l’Érigène qui va maintenant nous occuper, il n’en sera pas de même.

En considérant Dieu comme étant, à la fois, créateur et créé, Jean Scot a été conduit à distinguer le Père et le Verbe ; il va découvrir l’Esprit-Saint en sondant ce mystère : Dieu est à la fois un et infiniment multiple.

C’est par l’intermédiaire du Saint-Esprit, en effet, qu’en l’infinie multiplicité des choses, le Verbe propage les effets des causes primordiales que le Père a créées en lui.

« Les causes primordiales, dit Jean Scot[2], sont ce que les Grecs ont nommé des idées ; ce sont des espèces ou formes éternelles dans lesquelles le Monde visible et invisible esl formé, des raisons immuables selon lesquelles il est gouverné. Les philosophes grecs les ont donc nommées à juste titre πρωτότυπα, c’est-à-dire modèles principaux. Ces causes primordiales, le Père les a créées dans le Fils, et c’est par le Saint-Esprit qu’il les subdivise en leurs effets et qu’il les propage. »

« Tu vois donc comment[3], à chacune des substances ou personnes de la divine Bonté, la Théologie attribue une sorte de rôle particulier. Au Père, elle attribue la propriété de tout créer. Au Verbe, elle concède que toutes les causes primordiales des choses soient éternellement créées en lui, d’une manière universelle.

  1. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. V, cap, 13 ; éd. cit., col. 885.
  2. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. ii, cap. 36 ; éd. cit., coll, 615-616.
  3. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. ii, cap, 22 ; éd. cit., col, 566.