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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

« La fin de tout mouvement, c’en est le commencement[1] ; le mobile ne termine pas son mouvement dans une fin autre que le principe à partir duquel il a commencé de se mouvoir, auquel il désire sans cesse revenir afin de s’arrêter et de se reposer. Et mm seulement nous devons entendre qu’il en est ainsi des diverses parties du monde sensible, mais aussi qu’il en est de même de tout l’Univers. La fin de l’Univers, c’en est le commencement ; c’est à ce commencement qu’il tend, c’est en lui qu’il s’arrêtera, non pour voir périr sa propre substance, mais pour revenir au sein des raisons d’où il est parti. »

« La raison véritable démontre donc[2], d’une façon qui inspire pleine confiance, que l’essence des choses sensibles… doit demeurer perpétuellement, car elle a été faite dans la divine Sagesse, d’une manière immuable, hors de tout lieu, de tout temps, de tout changement. Au contraire, la nature qui a été engendrée dans le lieu et dans le temps, qu’environnent les autres accidents, doit périr après une durée définie d’avance par le Créateur de toutes choses ; quiconque possède la science que les études nous donnent n’en peut douter. »

Une fois que ces natures créées auront accompli l’existence qui leur a été assignée « sous les formes et les espèces », elles retourneront à leurs essences éternelles. À cette loi universelle, la nature humaine n’est point soustraite.

« Tous les arguments[3] que nous avons tirés, soit de la nature des choses sensibles, soit de la nature des choses intelligibles, ont eu pour objet de démontrer que toute chose revient par une naturelle contrainte à son principe, soit sensible, soit intelligible. Ne tendent-ils pas, tout aussi bien, à nous faire croire sans aucune hésitation, que la nature humaine doit, elle aussi, retourner à son principe, principe qui n’est autre que le Verbe, au sein duquel elle a été faite, dans lequel elle subsiste et vit d’une façon immuable ? Les preuves très certaines que les choses nous fournissent ne nous donnent-elles pas la force de comprendre cette vérité ? Dieu, en effet, est le principe de toutes les choses qui sont et de toutes celles qui ne sont pas ; des choses, veux-je dire, qui tombent sous les sens corporels ou donnent prise aux contemplations intellectuellcs, comme des choses dont la substance est si haute et si subtile qu’elles échappent aux intuitions de l’esprit aussi bien qu’aux sens du corps ; c’est Dieu qu’elles désirent, et nulle

  1. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. V, cap. 3 ; éd. cit., col. 866.
  2. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. V, cap. 3 ; éd. cit., col. 867.
  3. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. V, cap. 6 ; éd. cit., col. 871.