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SCOT ÉRIGÈNE ET AVICÉBRON

ment d’existence, elle le reçoit par participation de l’Un même, qui seul existe vraiment par lui-même. »

Dieu seul existe vraiment par lui-même ; les autres choses n’ont qu’une existence participée reçue de Dieu, est-ce donc la formule du Panthéisme ? À ce compte, tous les docteurs chrétiens, tous les philosophes qui ont cru à la création doivent être tenus pour panthéistes.

Le fils de l’Érin n’est aucunement panthéiste[1]. De Saint Paul et de Saint Jean jusqu’à lui, les docteurs chrétiens ont unanimement enseigné que les créatures existent réellement et que, cependant, elles existent toutes par Dieu et en Dieu ; que Dieu est en toutes choses : que les créatures ont une existence temporelle, mais qu’elles ont aussi une existence éternelle dans le Verbe de Dieu : cet enseignement, Scot s’est efforcé de le développer, de le préciser, tout en affirmant bien haut qu’un insondable mystère y demeurait à tout jamais renfermé : pour découvrir dans cette tentative l’affirmation du Panthéisme, il se faut laisser aveugler par l’idée préconçue.


V
LE RETOUR DES CRÉATURES AUX CAUSES ÉTERNELLES

Parmi les doctrines de Scot, il en est une qu’on a bien souvent donnée comme preuve de son Panthéisme ; c’est précisément une de celles où il avait pris, contre les interprétations panthéistiques, les plus minutieuses et les plus formelles précautions. Nous allons dire quelques mots de cette doctrine, non qu’il y ait lieu de la comparer aux enseignements d’Avicébron, mais parce qu’au sein de la Scolastique latine, certains docteurs la reprendront pour la défigurer.

Les créatures dont l’existence a eu commencement auront aussi une fin. Dr multiples exemples[2] nous conduisent à penser que la durée de toute créature, tant corporelle que spirituelle, doit être un cycle fermé, dont la fin coïncide très exactement avec le commencement.

  1. C’est ce qui est fort bien établi dans la thèse suivante ; Saint-René Taillandier, Scot Érigène et la Philosophie Scholastique, Strasbourg et Paris, 1843.
  2. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. V, capp. 3 et 4 ; éd. cit., coll. 865-870.