Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
60
LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

offre pas une déclaration plus nette que celle-ci : « Quand on nous dit que Dieu fait tout, nous devons comprendre que Dieu est dans tout, qu’il est l’essence substantielle de toutes choses. Seul, en effet, il possède en lui-même les conditions véritables de l’être, et seul il est en lui-même tout ce qui est au sein des choses auxquelles à bon droit on attribue l’existence. Rien de ce qui est n’est, véritablement par soi-même ; mais Dieu seul, qui seul est véritablement par lui-même, se partageant entre toutes les choses, leur communique ainsi tout ce qui répond en elle à la vraie notion de l’être. » Ce disciple de Plotin, qui croit l’être de Platon, fait cette déclaration avec une naïveté si libre d’inquiétude qu’il la renouvelle à tout propos et sous toutes les formes. »

Détacher un passage du contexte qui en fixe la véritable signification ; en guise de traduction de ce passage, offrir unr paraphrase qui n’est qu’un long contre-sens, c’est un moyen commode de prêtera un auteur toutes les doctrines qu’on veut ; c’est ce qu’a fait B. Hauréau.

Dans le passage qu’on vient de citer[1], le Maître se propose d’expliquer à son Disciple qu’en nommant Dieu créateur de toutes choses, nous n’introduisons pas la multiplicité dans l’essence divine, que nous ne la soumettons pas à la catégorie de l’action car, en Dieu, l’opération créatrice ne se sépare pas de l’existence même. « En Dieu, donc, exister n’est pas une chose, et faire une autre chose ; pour lui, exister, c’est même chose que faire. » Et le Maître poursuit en ces termes :

« Cum ergo audimus Deum omnia facete, nil aloud debemus intelligere, quam Deus in omnibus esse, hoc est essentiam omnium subsistere. Ipse enim solus per se vere est, et omne, quod vere in his, quæ sunt, dicitur esse, ipse solus est. Nihil enim eorum, quæ sunt, per se ipsum vere est. Quodcunque autem in eo vere intelligitur, partecipatione ipsius unius qui solus per seipsum vere est, accipit. » — Lors donc que nous entendons dire : Dieu fait toutes choses, nous devons tout simplement comprendre que Dieu est en toutes choses, c’est-à-dire qu’il subsiste à titre d’essence de toutes choses — Et nous savons ce que signifie cette formule. — Lui seul, en effet, existe vraiment par lui-même ; dans les choses qui existent, tout ce qui est véritablement dit : existence, c’est lui-seul qui est cela ; aucune des choses qui sont, en effet, n’existe véritablement par elle-même ; en une telle chose, tout ce que l’on conçoit vrai-

  1. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. I, cap. 72 ; éd. cit., col. 518.