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SCOT ÉRIGÈNE ET AVICÉBRON

reçoivent lorsqu’elles sont engendrées, en un certain temps et dans un certain lieu, au sein du Monde visible.

« Mais il ne faut pas croire[1] que ces choses commencent d’être créées au moment où les sens peuvent constater leur apparition dans le Monde. À l’état de substances, elles ont toujours existé dans le Verbe du Seigneur ; de plus, leur apparition et leur disparition dans l’ordre des temps et des lieux, par l’effet de la génération, c’est-à-dire de la prise d’accidents, étaient, elles aussi, dans le Verbe de Dieu ; car, au sein du Verbe, les choses qui doivent être sont déjà faites. C’est la Sagesse divine qui circonscrit les temps, en sorte que toutes les choses qui, dans la Nature, naissent d’une manière temporelle, subsistent avant leur naissance, éternellement, en la Science de Dieu ».

La raison humaine ne peut, d’ailleurs, pénétrer cette mystérieuse existence éternelle que les choses créées ont au sein du Verbe de Dieu. Avec le disciple de Jean Scot, elle doit modestement dire[2] : « Je ne m’enquiers pas de la manière dont l’Univers est créé dans le Verbe et de l’éternité de cette création ; nul ne saurait dire comment les mêmes choses sont à la fois éternelles et créées. Nulle créature douée de raison ou d’intelligence ne peut avoir connaissance de la création des choses dans le Verbe ».


IV
JEAN SCOT ÉRIGÈNE ÉTAIT-IL PANTHÉISTE ?

On a dit et répété à satiété que Jean Scot était panthéiste ; au début du XIIIe siècle, le traité Περὶ φύσεως μερισμοῦ fut rendu responsable du Panthéisme qu’Amaury de Bennes en avait tiré parce qu’il ne l’avait pas compris ; et au xixe siècle, B. Hauréau écrivait encore[3] :

« Telles sont les prémisses doctrinales de Jean Scot et, quand il s’agit de les développer, il n’hésite devant aucune des conséquences que, dès l’abord, elles semblent contenir. Enfin il arrive par une voie de nos jours trop connue et trop fréquentée, au Panthéisme le plus sincère, le plus patent. Spinosa lui-même ne nous

  1. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., lib. III, cap. 16 ; éd. cit., col. 669.
  2. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., lib. III, cap. 16 ; éd. cit., col. 670.
  3. B. Hauréau. Histoire de la Philosophie Scolastique, première partie, Paris, 1872, p. 159.