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SCOT ÉRIGÈNE ET AVICÉBRON

un nouveau mystère vient se joindre : Les choses créées sont à la fois éternelles et soumises au temps.


III
L’EXISTENCE TEMPORELLE DES CHOSES CRÉÉES

« Ces raisons des choses[1], que l’on conçoit dans la nature supra-essentielle du Verbe, sont éternelles. En effet, tout ce qui est substantiellement dans Dieu le Verbe, c’est le Verbe lui-même, en sorte que c’est nécessairement éternel. »

Ces causes primordiales qui subsistent, éternelles, dans le Verbe divin ont pour effet tout ce qui se rencontre dans l’Univers visible, tout ce qui forme l’ordre des temps et des lieux. Comment devons-nous concevoir la relation de ces causes et de ces effets ? « Aucun de ceux qui philosophent avec rectitude[2] ne saurait admettre qu’une partie de la Création universelle existe, éternelle, dans le Verbe de Dieu, et qu’une autre partie, faite dans le temps, soit extérieure au Verbe. »

Donc, toutes ces choses créées que nous voyons exister dans le temps et dans l’espace, elles étaient de toute éternité au sein du Verbe. « Elles y étaient par leurs causes[3], elles y étaient virtuellement et en puissance (vi et potestate), indépendantes de tous les temps et de tous les lieux, indépendantes de toute génération temporelle et locale, indépendantes de toute forme ou de toute espèce accessible au sens ou à l’intelligence, indépendantes de toute quantité, de toute qualité, de tous ces autres accidents par lesquels nous savons qu’une substance est, mais sans savoir ce qu’elle est.

» Et, d’autre part, ces choses n’existaient pas de toute éternité. Avant que, par leur génération, elles ne se fussent infiltrées sous les formes et espèces, dans les lieux et les temps, à l’intérieur de tous les accidents qui viennent s’adjoindre à leurs substances éternelles, subordonnées d’une manière incommunicable au Verbe de Dieu, elles n’étaient pas engendrées, elles n’étaient pas d’une manière locale et temporelle, elles n’existaient pas sous les formes et espèces propres auxquelles les accidents surviennent. »

  1. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. III, cap. 9 ; éd. cit., col. 642.
  2. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. III, cap. 16 ; éd. cit., col. 666.
  3. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. III, cap. 15 ; éd. cit., col. 665.