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SIGER DE BRABANT

courent un cycle déterminé par la circulation des corps supérieurs, bien que le retour périodique de certaines de ces choses ne soit pas, à cause de son ancienneté, demeuré dans la mémoire des hommes. Ces propositions, nous les formulons selon l’opinion du Philosophe, mais nous ne les affirmons pas comme vraies. »

En donnant ces assertions comme le résumé de la véritable pensée d’Aristote, Siger, très certainement, ne dupait pas son lecteur.

Il ne le dupait pas non plus lorsqu’il proclamait le désaccord qui existe entre la Philosophie péripatéticienne et ces propositions, souvent affirmées par Saint Thomas d’Aquin : L’âme humaine et les cieux ont eu commencement, mais ils n’auront pas de fin ; leur durée, bornée dans le passé, n’a pas de limite dans l’avenir.

« L’âme intelligente et incorruptible, disait Siger[1], a la vertu de toujours être. Cette vertu, si elle ne l’a pas reçue, c’est qu’elle a toujours existé dans le passé. Si elle l’a reçue alors qu’elle ne l’avait pas, ou bien elle était en puissance de l’avoir ou bien elle ne l’était pas. Or, si, par sa nature, il était impossible qu’elle eût cette vertu, elle ne la tiendrait pas d’un autre ; car ce qui, par soi ou par sa propre nature, ne peut pas être, ne reçoit pas l’existence d’ailleurs. D’autre part, supposons qu’elle ait reçu cette vertu alors qu’elle en était en puissance ; toute vertu d’exister qui est précédée par la puissance à cette même vertu est une vertu qui a son existence en la matière ; la vertu d’exister de l’âme intelligente serait une vertu d’exister matérielle et, partant, corruptible ; l’âme intelligente ne serait pas éternelle dans l’avenir.

» Si donc l’âme intelligente est éternelle dans l’avenir, il faut qu’elle ait reçu cette vertu d’exister de telle façon qu’on ne puisse pas dire qu’elle ne l’a pas toujours eue auparavant. Elle a, dès lors, toujours possédé la vertu d’exister, et elle est éternelle dans le passé comme elle est éternelle dans l’avenir.

» Aussi trouve-t-on des choses qui, tantôt n’existent pas, et qui, tantôt, existent pendant un temps fini ; ce sont des êtres corruptibles, car leur existence a eu commencement. On rencontre aussi des choses qui n’existent jamais ; telles sont les choses impossibles, comme la chimère. Enfin on trouve des êtres qui ont toujours existé dans le passé et qui, toujours, existeront dans l’avenir. Mais dans Aristote, on ne trouve jamais d’êtres éternels dans le passé et point dans l’avenir, ni d’êtres éternels dans l’avenir mais

  1. Sigeri be Brabantia Qaœstiones de anima intellectica, V. Utrum anima intellectiva sit æterna in præterito, P. Mandonnet, Op. laud., seconde partie, p. 159.