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SIGER DE BRABANT

trine péripatéticienne et de restaurer le sens exact de la penser d’Aristote : « Les deux hommes[1] qui tiennent le premier rang en Philosophie (præcipui viri in Philosophia), Albert et Tomas, disent que la substance de l’âme intelligente est unie au corps et lui donne son existence, mais que le pouvoir de l’âme intelligente est séparé du corps car, pour opérer, elle ne se sert pas de cet instrument qu’est le corps… Ces deux hommes s’écartent de l’intention du Philosophe et, d’autre part, ils ne démontrent pas ce qu’ils avancent. »

Le De unitate intellectus contra Averroem, que Saint Thomas d’Aquin avait composé, sans doute en 1270[2], était une réponse a un article de Siger sur le même sujet. Par une étude attentive des textes et par un passage de Jean de Jandun, le R. P. Chossat[3], a prouvé jusqu’à l’évidence que ce premier article de Siger était perdu ; l’opuscule que nous possédons de lui Sur l’âme intellectuelle est une riposte à Saint Thomas d’Aquin.

Tout en affirmant que la Philosophie, rigoureusement suivie jusqu’en ses dernières conséquences, donnait des propositions fort différentes de celles qu’Albert et Thomas avaient admises, Siger se défend vivement d’accepter ces propositions hétérodoxes. Il exposait la doctrine des Philosophes, mais il se déclarait fermement attaché à l’enseignement de l’Église ; ses protestations, en ce sens, se répètent à plusieurs reprises au cours du traité De anima intellectiva.

« C’est cela, disons-nous[4], que le Philosophe a pensé de l’union entre le corps et l’âme intelligente ; toutefois, si l’opinion de la sainte Foi catholique est contraire à cette opinion du Philosophe, c’est celle-là que nous voulons préférer, de même qu’en toute autre circonstance. »

La multiplicité des corps entraîne-t-elle, pour l’âme intelligente. une égale multiplicité ? « J’ai longtemps regardé comme douteuses[5], la voie que doit suivre la raison naturelle en la solution du susdit problème, et l’opinion que le Philosophe avait conçue touchant cette question ; dans un semblable doute, il se faut fermement attacher à la Foi, qui surpasse toute raison humaine ».

Ce langage était-il sincère ? Albert le Grand n’avait cessé d’en

  1. P. Mandonnet, Op. laud., seconde partie, p. 102.
  2. P. Mandonnet, Op. laud., Première partie, pp. 103-110.
  3. R. P. Marcel Chossat, S. J., Saint Thomas d’Aquin et Siger de Brabant (Revue de Philosophie, XIVe année, 1914, t. XXIV, pp. 553 sqq, et t. XXV, pp. 20 sqq.).
  4. P. Mandonnet, Op. laud., seconde partie, pp. 156-157.
  5. P. Mandonnet, Op. laud., seconde partie, p. 169.