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SAINT THOMAS D’AQUIN

mitent la Physique et la Métaphysique d’Aristote. Pour éviter tout malentendu, donnons à notre question cette forme plus restreinte et plus précise : Qu’est-ce que le Thomisme philosophique ?

Si, par Thomisme, on veut entendre une doctrine une et coordonnée qui appartienne en propre à Saint Thomas d’Aquin soit par les principes dont elle découle, soit par l’ordre qui en réunit et compose les diverses parties, nous pouvons, croyons-nous, formuler hardiment cette réponse : Il n’y a pas de philosophie thomiste.

Dans l’œuvre philosophique du Doctor communis, nous n’avons pas rencontré une seule proposition quelque peu notable dont nous puissions attribuer la paternité à ce maître ; il n’en est pas une au bas de laquelle nous ne puissions inscrire le nom de l’auteur à qui elle a été empruntée ; ici, nous reconnaissons la signature de Saint Augustin on du Pseudo-Aréopagite ; là, le sceau d’Aristote, de Simplicius, d’Averroès ; ailleurs, celui d’Avicenne, d’Al Gazâli, de Moïse Maïmonide ; ailleurs encore la marque du Livre des Causes.

La vaste composition élaborée par Thomas d’Aquin se montre donc à nous comme une marquetterie où se juxtaposent, nettement reconnaissables et distinctes les unes des autres, une multitude de pièces empruntées à toutes les philosophies du Paganisme hellénique, du Christianisme patristique, de l’Islamisme et du Judaïsme.

Le Thomisme n’est donc pas une doctrine philosophique ; il est une aspiration et une tendance ; il n’est pas une synthèse, mais un désir de synthèse.

À la vue de ces philosophies multiples que, de Platon à Maïmonide, les sages de tout temps et de tout pays ont imaginées, Thomas d’Aquin éprouve une respectueuse admiration ; il ne peut douter que les méditations de tant de profonds penseurs n’aient abouti à découvrir en sa totalité la vérité physique et métaphysique ; si leurs systèmes semblent, ne se pas accorder, c’est que chacun d’eux ne détient qu’une partie de cette vérité ; mais en les juxtaposant, en les combinant avec discernement, on finira par rassembler ces vues partielles de la vérité et par connaître dans son ensemble ce que la raison humaine en peut découvrir.

Lorsqu’on aura reconstitué de la sorte la partie de vérité que la méditation philosophique peut contempler, on ne manquera certainement pas d’en reconnaître l’accord avec cette autre partie de vérité que Dieu nous a révélée et qu’il nous enseigne par son église.

Semblable donc à l’enfant qui cherche à rapprocher les uns des autres les morceaux dissociés d’un jeu de patience, Thomas d’Aquin juxtapose les fragments qu’il détache du Péripatétisme