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SAINT THOMAS D’AQUIN

le Monde n’est pas quelque chose, la Matière, qui ait une existence en puissance ; c’est simplement l’objet d’un certain jugement par lequel la raison déclare que l’existence du Monde n’est pas contradictoire.

Cette réplique, Thomas d’Aquin va la donner, en effet, mais incidemment et comme à la hâte ; il semble qu’il craigne d’y insister, qu’il ne veuille pas la presser, de peur de ruiner le fondement principal de cette Philosophie péripatéticienne sur laquelle il prétend asseoir sa Théologie. « Avant que le Monde ne fût, dit-il, il était possible que le Monde fût, non pas selon cette puissance passive qui est la Matière, mais selon la puissance active de Dieu ; ou bien encore, il était possible, de cette possibilité selon laquelle on dit que quelque chose est possible d’une manière absolue, non en vertu de quelque puissance, mais par la seule comparaison des termes qui ne répugnent pas entre eux (et etiam secundum quod dicitur aliquid absolute possibile, non secundum aliquam potentiam, sed ex sola habitudine terminorum qui sibi non repugnant) ; c’est de la sorte que possible s’oppose à impossible. »

C’est bien l’argument d’Al Gazâli que sous une forme très sommaire, nous venons de lire en dernier lieu ; il nie que la possibilité soit un mode d’existence ; il en fait une simple absence de contradiction. « Jean le Chrétien, écrit le Commentateur[1], pense que la possibilité réside seulement dans l’agent, selon ce qu’Al Fârâbi a rapporté. »


XI
CONCLUSION

Dans l’œuvre immense de Saint Thomas d’Aquin, ce que nous avons recueilli est fort peu de chose. Peut-être est-ce assez, cependant. pour que nous puissions deviner les combats que la Philosophie et le Dogme ont dû se livrer dans la raison de l’Ange de l’École.

  1. Averrois Cordubensisis Commentarius in libros Metaphysicae Aristotelis ; In Aristoletis lib. XIIIm Averrois lib. XIus comm. 18. — Nous n’avons pas rencontré cet argument dans le De Mundi œternitate de Jean Philopon, et il ne paraît nullement conforme à la pensée de cet auteur.