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SAINT THOMAS D’AQUIN

qui meut un corps céleste à titre d’agent et à titre de fin. Cela est fort erroné, surtout selon son opinion, d’après laquelle la Cause première est la substance qui meut le premier ciel ; il en résulterait, en effet, que Dieu est l’âme du premier ciel, puisque la substance qui meut le premier ciel à titre d’agent reçoit le nom d’âme de ce ciel… Mais au commentaire sur le XIe livre de la Métaphysique. il admet l’existence de deux moteurs, l’un, conjoint au ciel, qu’il nomme âme de ce ciel, et l’autre, séparé, qui meut a titre de cause finale. »

Le Docteur, lui aussi, admet maintenant ces deux ordres de substances motrices, et, à l’exemple d’Al Gazâli, il en fait deux ordres d’anges. « Si les corps célestes sont animés, les esprits qui président à leurs mouvements doivent être comptés au nombre des anges… Pendant la durée de la vie de chaque homme, un ange est commis à la garde de cet homme ; il n’y a donc rien d’absurde à ce qu’un ange soit député au mouvement d’un corps céleste pendant la durée du mouvement de ce corps. »

Assimiler aux anges des substances qui meuvent les cieux, c’est, de l’avis constant de Saint Thomas, soutenir une opinion qui est au moins probable.

Nous voyons, par exemple, que le prieur de l’ordre des Dominicains, Jean de Verceil, avait consulté son savant frère au sujet de quarante-deux articles[1], dont les dix-sept premiers se rapportaient au pouvoir qu’ont les auges de mouvoir les cieux ou les choses sublunaires. « Dieu meut-il immédiatement, quelque corps ? Tout ce qui est mû naturellement est-il mû par le ministère des anges qui meuvent les corps célestes ? Est-il prouvé infailliblement par certains auteurs que les anges sont les moteurs des corps célestes ? Si l’on suppose que Dieu n’est pas le moteur immédiat des corps célestes, peut-on prouver d’une manière infaillible que les anges sont les moteurs de ces corps ? » Telles sont les cinq premières questions posées par Jean de Verceil.

Au sujet du troisième article, Saint Thomas d’Aquin rapporte, tout d’abord, les réponses, discordantes entre elles, de Saint Augustin et de Saint Jean Damascène ; puis il poursuit en ces termes : « Mais que les corps célestes soient mûs par une créature spirituelle, je n’ai pas souvenir d’avoir lu qu’aucun saint, aucun philosophe l’ait jamais nié. Cela donc étant supposé, que les anges meuvent les corps célestes, voici une proposition qu’aucun saint

  1. Sancti Thomæ Aquinatis Opusculum X. Responsio ad Fratrem Joannem Vercellensem generalem magistratum de 42 articulis.