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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

substance intelligible ; cette forme satisfait tout ce qu’il y a de potentiel en la matière céleste, en sorte que cette matière ne soit plus en puissance d’aucune autre forme.

La substance intelligente et motrice que nous venons de décrire diffère extrêmement de l’âme d’un être vivant sublunaire ; elle ne possède ni pouvoir végétatif ni pouvoir sensitif ; elle n’est pas la forme du corps qu’elle meut. Si donc on lui veut donner le nom d’âme, ce sera par pure homonymie. On pourra dire alors que les cieux sont des êtres animés, mais l’opinion qu’on entendra énoncer de la sorte ne différera guère de celle des philosophes qui déclarent les cieux inanimés ; « la différence ne sera plus que dans les mots, non dans les choses. »

Il semble bien évident qu’à chaque ciel, Thomas fait correspondre une seule substance douée d’intelligence, cette substance qu’on peut nommer l’âme du ciel, mais qu’on pourrait aussi appeler une substance séparée, puisqu’elle n’a, avec le corps du ciel, qu’un simple contact de force.

Que l’auteur de la Somme voie, dans ces âmes, l’équivalent des substances séparées définies par la Métaphysique d’Aristote, en voici la preuve : Pour faire comprendre ce contact de force qui unit chacune de ces substances au corps qu’elle meut, il rapporte ce qu’Aristote dit, au VIIIe livre de la Physique, du contact du premier Moteur avec le premier mobile : or, pour Aristote, Dieu, le premier Moteur, est aussi la première des Intelligences séparées.

En résumé, la théorie des moteurs célestes exposée par la Somme théologique précise ce que l’Exposition de la Métaphysique avait tantôt explicitement affirmé et, tantôt, confusément indiqué, ce que le troisième livre de la Somme contre les Gentils avait déclaré. Elle diffère en deux points de celle qu’Aristote et Averroès avaient développée touchant la Métaphysique.

Tout d’abord, au lieu d’assigner au moteur spécialement conjoint à chaque orbe un moteur immobile spécial, un objet désirable particulier qui soit une intelligence séparée, Thomas d’Aquin n’assigne plus à tous les moteurs célestes qu’un seul objet désirable, qu’un seul moteur absolument immobile, et c’est Dieu.

En second lieu, au moteur conjoint à chaque orbe, qui n’est pas uni à cet orbe à titre de forme, mais qui a seulement avec lui un contact de force, il attribue jusqu’à un certain point le rôle et la dignité qu’Aristote attribuait aux substances séparées.

De cette façon, entre l’idée de premier moteur immobile et l’idée de Dieu, Thomas d’Aquin peut garder l’identité qu’admettait la Métaphysique d’Aristote : comme il n’y a plus qu’un moteur immo-