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SAINT THOMAS D’AQUIN

mouvement est nécessairement mue par quelque autre chose ; le corps du ciel est donc mû par quelque chose.

» Or, ou bien ce quelque chose d’autre que le corps du ciel en est entièrement séparé ; ou bien ce quelque chose est uni au corps du ciel de telle façon qu’on puisse, de l’ensemble du corps céleste et du moteur, dire qu’il se meut lui-même, parce qu’une partie de lui-même meut tandis que l’autre partie est mue.

» Supposons, d’abord, qu’il en soit ainsi ; comme tout être qui se meut lui-même est vivant et animé, il en résulte que le ciel est animé ; mais il ne peut être animé que d’une âme intellectuelle ; il ne peut l’être, en effet, par une âme végétative, puisqu’il n’y a, en lui, ni génération ni corruption ; il ne peut l’être, non plus, par une âme sensitive, car il ne possède pas des organes divers ; il faut donc que ce soit par une âme intellectuelle.

» Supposons maintenant que le ciel soit mû par un moteur qui lui soit extrinsèque. Ce moteur est corporel on incorporel. S’il est corporel, il ne meut que parce qu’il est mû lui-même, comme on le voit par ce qui vient d’être dit ; il faudra donc qu’à son tour, il soit mû pur un autre moteur ; et comme en la série des corps, on ne peut procéder à l’infini, il faudra bien arriver à un premier moteur incorporel. Mais il est évident parce qui précède qu’une chose absolument séparée de tout corps ne peut être qu’intellectuelle ; donc le mouvement du ciel, qui est la première chose corporelle, provient d’une substance intellectuelle. »

Au sujet de cette substance, Thomas d’Aquin vient de nous montrer qu’on peut faire deux suppositions, qu’on peut la conjoindre au corps du ciel ou l’en séparer ; entre ces deux suppositions, va-t-il choisir ? Pas à cette heure :

« Pour notre objet, dit-il[1], il est indifférent que le corps céleste soit mû par une substance intellectuelle conjointe qui en soit l’âme, ou par une substance séparée. Il n’importe pas de savoir si chacun des corps célestes est mû immédiatement par Dieu ; ou bien si aucun d’entre eux n’est mû immédiatement par lui, s’ils sont tous mus par l’intermédiaire de substances intellectuelles créées ; ou bien encore si le premier ciel est seul immédiatement mû par Dieu tandis que les autres le sont par l’intermédiaire de substances créées. [Peu importe tout cela], pourvu qu’on tienne pour certaine cette proposition : Le mouvement du ciel provient d’une substance intellectuelle. »

Cette indifférence à l’égard de la véritable nature des moteurs

  1. Saint Thomas d’Aquin, loc. cit., in fine.