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SAINT THOMAS D’AQUIN

mentateur ; l’influence des doctrines exposées par celui-ci se devine dans la leçon même que nous venons de citer.

La pensée de Saint Thomas d’Aquin paraît, beaucoup plus qu’il ne le déclare, éloignée de celle d’Aristote. À chaque ciel, Aristote attribue une vertu motrice, unie à ce ciel, finie et, partant, incapable par elle-même de mouvoir éternellement son mobile ; il lui attribue, en outre, un moteur immobile, intelligence séparée de la matière, que connaît et désire la vertu motrice, et qui, par ce désir, communique à cette vertu la force de mouvoir indéfiniment.

De cette théorie, Saint Thomas d’Aquin, aux deux premiers livres de la Somme contre les Gentils, a donné un résumé très clair et très précis. Il semble maintenant qu’elle s’embrume et se déforme à ses yeux. Ce qu’Aristote dit de la vertu motrice attachée à chaque orbe, et nombre des propos qu’il tient au sujet de l’intelligence séparée préposée à cet orbe, le Doctor communis le fond en une seule description et l’attribue à une substance unique qu’il nomme indifféremment moteur ou intelligence. En outre, il paraît admettre qu’à tous ces moteurs Aristote n’a proposé qu’un seul et même objet désirable dont chacun d’eux tire l’éternité de son action ; cet objet désirable serait, au gré d’Aristote, le moteur du premier mobile ; pour lui, Thomas, il suit une opinion qu’il regarde à tort comme celle d’Avicenne ; cette cause de l’éternité de tout mouvement. il la place au-dessus du moteur du premier ciel ; il l’identifie avec Dieu.

Si la doctrine que nous présentons ici est bien celle que Saint, Thomas entendait professer dans son Exposition de la Métaphysique, elle serait une déformation très accentuée du système d’Aristote, qui verrait son polythéisme formel réduit de force au monothéisme.

Nous avons vu[1] comment la lecture du Sermo de substantia orbis, lorsqu’on négligeait de l’éclairer par la lecture du Commentaire à la Métaphysique, pouvait conduire à une théorie fort analogue à celle-là ; chaque orbe, selon cette interprétation inexacte, mais vraisemblable, de la pensée d Averroès, aurait un moteur conjoint auquel on peut donner le nom d’âme ; tous ces moteurs conjoints désireraient une seule et même intelligence séparée dont ils tireraient l’éternité de leur action.

Mais on ne saurait par une lecture trop exclusive du Sermo de substantia orbis, expliquer la déformation que Thomas d’Aquin fait subir à la doctrine d’Aristote ; il a lu l’Exposition de la Méta-

  1. Voir : Troisième partie. Ch. III, § V ; t. IV, pp. 550-551.