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SAINT THOMAS D’AQUIN

façon ou d’une autre, cela ne la concerne pas (ad quam nihil pertinent sive sic sive aliter dicatur). »

Thomas d’Aquin, on le voit, fait maintenant bon marché de l’autorité des Pères de l’Église qui déniaient aux cieux la qualité d’êtres animés. Au temps où il commentait les Sentences, il se montrait beaucoup plus soucieux de cette autorité.

On peut, croyons-nous, accorder à Thomas d’Aquin qu’il a très exactement interprété jusqu’ici, la pensée d’Aristote. Va-t-il suivre cette pensée jusqu’au bout ? Va-t-il admettre qu’il y a autant de moteurs immobiles qu’il y a de cieux à mouvoir ? À cet égard, aucun doute n’est permis. Dans la Somme contre les Gentils, le Doctor communis attribue à chaque orbe un moteur immobile ; les moteurs des orbes intérieurs se distinguent cependant en un point du moteur de l’orbe suprême ; outre son mouvement propre, le ciel auquel chacun deux préside suit le mouvement du ciel ultime ; on exprime ce fait en disant que les moteurs des cieux inférieurs sont unis par entraînement (per accidens) : mais cette manière de parler ne compromet en rien l’immobilité véritable de ces moteurs.

Cette doctrine, Saint Thomas l’expose de la façon la plus claire en la première de ses « raisons propres à prouver l’existence de Dieu[1]. »

« Aucun être, dit-il, qui se meut soi-même, ne peut se mouvoir toujours si son moteur est mû soit de lui-même, soit par entraînement (per accidens). Or, le premier être qui se meuve soi-même est toujours en mouvement ; sinon, aucun mouvement éternel ne serait possible, puisque tout mouvement est causé par le mouvement du premier être qui se meuve. Il reste donc que le premier être qui se meuve lui-même, soit mû par un moteur qui n’est mû, à son tour, ni de lui-même ni par accident.

» Que les moteurs des orbes inférieurs meuvent ces orbes d’un mouvement éternel, et qu’on les dise, cependant, mûs par entraînement (per accidens), cela ne va pas à l’encontre de ces raisonnements ; si on les dit mûs par entraînement, en effet, ce n’est pas en raison d’eux-mêmes, mais en raison de leurs mobiles qui suivent le mouvement de l’orbe suprême. »

Que ce raisonnement résume d’une façon très exacte et très heureuse les considérations développées par Aristote, au VIIe livre de la Physique d’une part, au XIe livre de la Métaphysique, d’autre part, ce n’est point contestable. Ici donc, le Péripatétisme de la

  1. S. Thomæ Aquinatis Summa contra Gentiles, lib. I, cap. XIII ; Rationes ad probandum Deum esse. I.