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SAINT THOMAS D’AQUIN

« Certains philosophes reconnaissent, il est vrai, que tous les êtres tirent l’origine de leur existence du souverain Principe des choses (pie nous nommons Dieu ; seulement, ils prétendent que tous les êtres émanent de Dieu dans un certain ordre, et non pas immédiatement.

» Le premier Principe des choses étant absolument un et simple, il n’en peut procéder, disent-ils, qu’un être unique. Cet être est plus simple et plus un que toutes les choses qui sont au dessous de lui ; cependant, il est moins simple que le premier Être, car il n’est pas lui-même cause de son existence ; il est une substance qui a existence [distincte de son essence].

» Cet être, ils le nomment l’intelligence première ; de cette Intelligence, disent-ils, peuvent déjà procéder plusieurs choses.

» Lorsqu’elle se tourne, en effet, de manière à comprendre son Principe simple et premier, elle laisse procéder d’elle-même une seconde Intelligence ; lorsqu’elle se connaît elle-même et saisit ce qui, en elle, est actuel, elle produit l’Âme du premier orbe ; enfin, lorsqu’elle se connaît elle-même et voit ce qu’elle contient de potentiel, elle produit le premier [corps céleste].

» Ces philosophes gardent le même ordre jusqu’au dernier des corps célestes. C’est l’hypothèse d’Avicenne ; c’est aussi celle qui paraît être supposée au Livre des Causes. »

Saint Thomas rejette, bien entendu, cette théorie qui confère aux Intelligences successives le pouvoir de créer ; Dieu ne saurait déléguer ce pouvoir à aucune créature. « Seule, la vertu du premier Agent peut produire un effet en l’absence de toute possibilité préexistante ; or, toutes les choses exemptes de génération et de corruption, les choses dont la production n’est pas un mouvement, ne peuvent être produites que de cette manière ; tous les êtres de cette sorte ne peuvent donc avoir été produits que par Dieu seul. Aussi est-il impossible qu’à partir de Dieu, les substances immatérielles tirent leur existence les unes des autres selon l’ordre que ladite hypothèse leur assigne. »

Dans son Écrit sur les Sentences, Thomas d’Aquin avait formellement refusé au moteur prochain d’un orbe le nom d’âme ou de forme de cet orbe ; lorsque les philosophes parlent de l’âme d’un ciel, avait-il ajouté, ils donnent à ce mot âme un sens tout différent de celui qu’ils lui attribuent en parlant de l’âme de l’homme.

Dans son opuscule Sur les substances séparées, il avait laissé passer sans protestation le nom d’âme donné au moteur conjoint à chaque orbe.

Voici maintenant que nous l’entendrons enseigner ces proposi-