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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

qui est le Dieu un, toutes les mitres substances séparées se trouvent ordonnées ; de même aussi, sous l’âme du premier ciel, sont rangées toutes les âmes des cieux…

» Partant, selon l’hypothèse d’Aristote, entre le Dieu suprême et nous, il n’existe qu’une double hiérarchie de substances intellectuelles, la hiérarchie des Substances séparées, qui sont les fins auxquelles tendent les mouvements célestes, et la hiérarchie des Âmes des orbes, qui meuvent ces orbes par appétit et désir. »

Thomas, dans ce passage, attribue au Stagirite ce qu’Avicenne a donné, dans sa Métaphysique, comme interprétation, très acceptable d’ailleurs, de la pensée d’Aristote[1].

Ce n’est pas que le Doctor communis ne sache fort bien, en d’autres circonstances, distinguer entre les opinions des deux philosophes.

Ainsi, après avoir réfuté avec beaucoup de soin[2] l’opinion d’Avicébron qui attribue une matière aux substances intellectuelles, il examine cette proposition[3] : Les substances célestes ne sont pas seulement éternelles, mais encore l’existence de chacune d’elles ne requiert aucune cause. Cette proposition, il la donne avec raison comme représentant l’opinion d’Aristote. Il rappelle l’argument par lequel la Philosophie péripatéticienne en établit le bien fondé : Rien ne peut être fait qui ne soit tiré d’une matière préexistante ; une substance dénuée de matière ne peut donc avoir été faite : son existence ne peut avoir de cause ; il faut que cette substance soit nécessaire et éternelle. Thomas répond qu’un tel argument, valable contre la production par génération, ne l’est pas contre la création. La génération consiste à mettre en acte une forme qui était en puissance dans une matière préexistante ; point de génération, donc, où la matière fait défaut ; point de génération non plus où la forme comble toute la puissance de la matière, comme il arrive pour les corps célestes. Mais incapables d’être engendrés, les corps célestes et les substances séparées de toute matière peuvent, cependant, reconnaître un autre être pour cause de leur existence ; ils peuvent être créés.

Ce n’est pas à l’encontre d’Avicenne, mais bien à l’encontre d’Aristote que cette réfutation était dirigée ; c’est maintenant Avicenne qui va se trouver attaqué par l’argumentation de Saint Thomas[4].

  1. Voir : Troisième partie, Ch. II, § VI ; t. IV, p. 448.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis Op. laud., Capp. V, VI, VII et VIII.
  3. Sancti Thomæ Aquinatis Op. laud., Cap. IX.
  4. Sancti Thomæ Aquinatis Op. laud., Cap. X.