Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/546

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
540
LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

d’après le nombre des mouvements et des mobiles. À chaque orbe, ils ont assigné deux moteurs ; un moteur conjoint, qu’ils ont appelé l’âme de l’orbe, ei un moteur séparé qu’ils ont appelé l’intelligence. La raison de cette supposition a été la suivante : Selon ces philosophes, l’intelligence possède des formes universelles qui ne conviennent pas à la direction immédiate du mouvement céleste en ses diverses révolutions et à la production des choses qui ont pour causes les mouvements des cieux ; il faut donc qu’il existe un moteur où résident des formes particularisées, propres à diriger le mouvement ; c’est ce moteur qu’ils nomment l’âme de l’orbe.

» Mais cette supposition est, en partie, hérétique, tandis qu’en une autre partie, elle peut être catholiquement soutenue.

» Les philosophes affirment, en effet, que les choses émanent de Dieu et sont causées par lui suivant un certain ordre. La Cause première produit immédiatement la première Intelligence ; de celle-ci émane l’âme du premier orbe ainsi que la substance de cet orbe. Dès lors, cette âme ou forme peut être nommée moteur prochain de son orbe, car elle lui donne l’existence, à titre de cause qui lui est appropriée.

» Cela, notre foi ne le peut souffrir ; elle affirme, en effet, que Dieu seul est créateur. Partant, aux anges qui meuvent les cieux d’une manière immédiate, nous pouvons donner le nom de moteurs, mais non pas de formes substantielles mi d’âmes ; car, de ces anges, les cieux reçoivent seulement le mouvement ; ils n’en reçoivent point l’existence.

» Toutefois, on peut, accepter qu’on dise ceci : Les anges les plus élevés, ceux qui possèdent les formes les plus universelles, sont des moteurs éloignés (motores remote) et des anges séparés ; au contraire, les anges inférieurs, ceux qui possèdent des formes plus particularisées, sont des moteurs prochains. C’est pourquoi Avicenne fait cette déclaration : Les moteurs qui, pour les philosophes, sont des intelligences, sont ce que la religion (lex) nomme les anges supérieurs ; les âmes des orbes, au contraire, sont ce que la religion nomme anges inférieurs ou anges ministres…

» Dans son livre De substantia orbi, Averroès dit que le corps céleste n’a pas besoin d’âme végétative, puisqu’il est exempt de génération et de corruption. D’autre part, ce n’est pas des choses que le moteur des cicux tire sa science ; il a, pour ainsi dire, une science active ; le ciel n’a, dès lors, aucun besoin d’une âme sensitive. Ce n’est donc pas dans le même sens que les philosophes parlent de l’âme du ciel et de l’âme de l’homme. »