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SAINT THOMAS D’AQUIN


IX
LES MOTEURS DES CIEUX

Réconcilier entre eux les enseignements disparates des philosophes hellènes et arabes et, en même temps, les concilier avec la tradition des docteurs chrétiens, telle est l’irréalisable tâche que Thomas d’Aquin avait assumée. Sollicité par un grand nombre de tendances diverses dont il souhaite l’accord, tantôt il se laisse entraîner par l’une d’entre elles et tantôt il s’abandonne à l’autre. De là, d’un écrit au suivant, des variations, voire des contradictions.

De ces variations qui conduisent Thomas d’Aquin de Saint Augustin à Ibn Sinâ, d’Ibn Sinâ au Stagirite pour le ramener ensuite à Saint Augustin, nous trouvons un saisissant exemple en suivant ce que, dans ses divers ouvrages, le Docteur Angélique a dit des moteurs célestes. Ces variations sont si notables qu’un thomiste convaincu, Saint Denys le Chartreux, n’a pu s’empêcher de les signaler : « Ce que Saint Thomas écrit à ce sujet[1], dans les livres précédemment cités, ne semble guère d’accord avec soi-même. — Verumtamen, ea quæ scribit de hac re, in libris præallegatis, non videntur adinvicem consonare. »

Dans son commentaire au second livre des Sentences, Thomas d’Aquin se montre soucieux, avant tout, de sauvegarder l’enseignement des Pères de l’Église qui, à l’unanimité, ont proclamé cette proposition : Les cieux ne sont pas animés. Qu’est-ce que cette proposition permet de garder de la doctrine d’Avicenne et aussi de la doctrine proposée par Averroès au Sermo de substantia orbis ? C’est ce qu’il cherche.

Appuyé de l’autorité des Pères de l’Église, il déclare ceci[2] : « Il est probable que le moteur prochain du ciel est une certaine intelligence créée ». Puis il poursuit en ces termes :

« Les philosophes ont supposé qu’aux divers mouvements et aux divers mobiles correspondaient des moteurs différents ; aussi ont-ils démontré et admis le nombre des intelligences motrices

  1. Divi Dionysii Carthusiani In sententiarum librum II Commentarii locupletissimi… Venetijs, sub signo Angeli Raphaëlis, MDLXXXIII, Disk XIV, quæst. IV, p. 321, col. a.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis Scriptum in //m Sentent taru/n, Disk XIV, quæst. I, art. III : Utrum motus cæli sit ab intelligentia.