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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

ment Avicébron, qui admettait l’existence d’une forme corporelle unique, posait aussi, dans tous les corps une même matière. Thomas poursuit, en ces termes :

« Il est impossible que le corps corruptible et le corps incorruptible aient même matière. La matière, en effet, est, de soi, en puissance de la forme. Nécessairement donc la matière, considérée en elle-même, doit être en puissance de la forme de chacune des substances dont elle est la commune matière. En outre, par chacune de ces formes, la matière n’est mise en acte qu’à l’égard de cette forme-là ; en sorte qu’elle demeure en puissance à l’égard de toutes les autres formes. Cela, d’ailleurs, ne cesserait pas d’être vrai, lors même qu’une de ces formes serait plus parfaite que les autres et que toutes les autres seraient comprises en son pouvoir…

» Ainsi donc la matière, supposée commune au corps corruptible et au corps incorruptible, ; et prise sous la forme du corps incorruptible, resterait en puissance de la forme du corps corruptible ; comme, d’ailleurs, elle ne possède pas cette forme d’une manière actuelle, cette matière serait, à la fois, pourvue de forme et atteinte de privation ; en effet, dans ce qui a puissance pour une certaine forme, l’absence de cette forme constitue la privation. Or cette disposition, [où la forme et la privation coexistent au sein de la matière], c’est celle du corps corruptible. Il est donc impossible que le corps corruptible et le corps naturellement incorruptible aient même matière…

» Considérée en elle-même, la matière du corps céleste n’est en puissance que de la forme qu’elle possède. Il importe peu à notre objet de savoir ce qu’est cette forme, si c’est une âme ou quelque autre chose ; cette forme, en tous cas, confère à cette matière une perfection telle qu’il ne reste plus, en cette matière, aucune puissance d’être (ad esse) ; elle demeure seulement, comme le dit Aristote, en puissance d’un lieu (uni).

» Ainsi, la matière des corps célestes et celle des éléments ne sont pas la même matière ; ces deux matières sont seulement analogues ; elles se ressemblent sous le rapport de la puissance. »

À cette exposition, d’un si ferme Péripatétisme, le Sermon de substantia orbis n’a certes pas été étranger ; Saint Thomas, d’ailleurs, cite cet ouvrage ; c’est, à la vérité, pour rejeter une des opinions qui s’y trouvent soutenues ; l’auteur de la Somme ne veut pas qu’on regarde le corps du Ciel comme une simple matière dont la forme serait l’Intelligence séparée, motrice de ce même Ciel : il veut que le corps du Ciel ait matière et forme, et que cette forme, quelle qu’en soit la nature, soit distincte de l’Intelligence séparée.