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SAINT THOMAS D’AQUIN

ranger lorsque le souci de la foi chrétienne ne lui commande pas une autre attitude.

Nous venons d’entendre Saint Thomas rejeter la théorie des dimensions indéterminées que l’auteur du Sermo de substantia orbis avait proposée ; mais en revanche, à ce Sermo de substantia orbis, que d’emprunts n’a-t-il pas faits !

Il lui a emprunté, tout d’abord, cet axiome : Dans une même chose, il ne peut exister deux formes substantielles distinctes. Or cet axiome est devenu comme la pierre angulaire du Thomisme.

Il lui a emprunté, en seeondiieu, la théorie de la matière céleste. Avicenne, Avicébron, Al Gazâli avaient admis qu’une certaine matière première est commune aux corps célestes et aux substances sublunaires, l’as plus qu’Averroès, Saint Thomas d’Aquin ne veut recevoir une semblable opinion.

« Il faut bien, dit-il[1], supposer dans le corps céleste quelque chose qui serve de support à l’actualité de ce corps ; mais il ne faut nas que ce support ou cette matière admette aucune privation ; la privation, en effet, ce n’est pas autre chose que l’absence, en une matière, d’une forme dont l’existence y serait naturelle ; or aucune forme, [autre que celle qu’il possède,] n’est destinée par nature à exister dans ce sujet ou dans cette matière ; la forme que cette matière possède en remplit toute la potentialité, car cette forme est une perfection totale et universelle ; la vertu active que possède cette forme est universelle, et non point particulière, comme l’est la vertu des corps inférieurs ; les formes de ces corps-ci, étant des formes particulières, ne peuvent jamais remplir toute la potentialité de la matière ; aussi, en meme temps qu’une certaine forme, subsiste, en la matière, la privation d’une autre forme capable, par nature, d’exister dans cette même matière ; de même voyons-nous que les corps inférieurs sont susceptibles de prendre successivement diverses figures, tandis qu’un corps céleste ne saurait affecter d’autre figure que celle qu’il possède ; ainsi donc, dans le corps céleste, il n’y a privation d’aucune forme, mais seulement d’un certain lieu (ubi) aussi ne peut-il, par génération ou corruption, éprouver aucun changement de forme ; il peut seulement changer de lieu. »

Plus formelle encore et plus nette, en cette même question, est la doctrine de la Somme théologique[2] : Après avoir rappelé com-

  1. Sancti Thomæ Aquinatis Expositio super libris Aristotelis De Cælo et Mundo ; lib. I, lect. VI.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis, Summna theologica. Pars Ia, quæst. LXVI, art. 2 : Utrum sit una materia in formis omnium corporalium.