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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

tence soit l’effet propre de cette cause. Cette cause, c’est Dieu.

» Or l’effet propre d’une cause ne procède en vertu de la ressemblance qu’il possède avec la nature de cette cause. Il faut, donc que ce qui est l’existence soit la substance ou nature de Dieu. »

De cette démonstration, on ne verra plus sortir les conséquences hérétiques qu’entraînait le raisonnement esquissé dans la Somme contre les Gentils et développé dans la Somme théologique. Mais pour éviter ces corollaires, Thomas d’Aquin a dû sacrifier tout son Aristotélisme.


VIII
LA MATIÈRE DES CIEUX

Dans tout ce qu’il a dit des dimensions indéterminées, Thomas s’est nettement écarté de la doctrine d’Averroès, doctrine qu’il avait vivement critiquée ; il est allé jusqu’à déclarer la théorie d’Avicenne et d’Al Gazâli plus raisonnable, à tout prendre, que celle du Commentateur.

Cette circonstance n’est pas la seule où il ait donné au Néo-platonisme d’Ibn Sinâ et de son disciple la préférence sur le Péripatétisme d’Ibn Roschd. Dans son écrit sur l’unité de l’intellect, il ne cesse d’opposer la pensée d’Avicenne et d’Al Gazâli à celle d’Averroès ; il attaque vivement [1] ceux qui cherchent la véritable doctrine d’Aristote dans les seuls écrits d’Averroès et qui veulent, dans les commentaires de cet auteur, reconnaître l’opinion commune de tous les philosophes grecs et arabes ; « ces gens-là, dit-il[2], aiment mieux errer en compagnie d’Averroès que de partager une science exacte avec les autres Péripatéticiens : Averroès, cependant, fut bien moins un Péripatéticien que le corrupteur de la Philosophie péripatéticienne. »

En dépit de ces invectives, l’intelligence de saint Thomas d’Aquin, éprise de clarté, subit à un très haut degré l’attrait des doctrines nettes et précises qu’Averroès expose. C’est à l’opinion du Commentateur que le Doctor communis finit presque toujours par se

  1. Sancti Thomæ Aquinatis De unitate intellectus contra Averroem Opusculum, Cap. V.
  2. Sancti Thomæ Aquinatis Op. laud., Cap. II.