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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

toutes les choses qui doivent être faites, avant que celles-ci ne soient, sont déposées les immuables raisons. »

Pour autoriser sa doctrine des paroles de l’Écriture, Scot Érigène use d’un curieux artifice. Il cite les premières paroles de la Genèse « In principio Deus crevait cælum et terram. » Les deux premiers mots : In principio, il ne les prend pas comme signifiant : Au commencement, mais comme ayant ce sens : Au sein du Principe ; et par ce Principe, il entend le Verbe.

À cet artifice, Saint Augustin avait fait une courte allusion ; il montrait, dans ses Confessionscomment une même parole de l’Écriture Sainte pouvait, parfois, se prendre en deux sens différents ; à ce propos, il citait cet exemple[1] : « L’un, lorsqu’il entend ces mots : Dans le Principe, Dieu fit…, regarde ce Principe comme étant la Sagesse, car elle-même s’est donnée ce nom. L’autre entend les mêmes paroles et, par le principe, il comprend le commencement des choses créées ; il prend ces paroles : Dans le principe. Dieu fit…, comme s’il était dit : Au commencement, Dieu fit… »

Le fils de l’Érin développe longuement cettle indication.

Voici, en effet, ce que le Maître dit à son Disciple[2] : « Les causes primitives sont, par Saint Denys, nommées : Principes de toutes choses ; ce sont elles, comprenez-le, qui sont désignées d’une manière simple et générale par ces paroles : » Dans le Principe, Dieu fit le ciel et la terre. » Cela veut dire : Dieu a fondé dans son Verbe les causes universelles des essences tant intelligibles que sensibles…

» Comprenez donc par là que la Cause unique et suprême de toutes choses, je veux dire la Sainte Trinité, est ouvertement déclarée par ces paroles : « Dans le Principe, Dieu fit le Ciel et la terre. » C’est, en effet, le Père qui reçoit le nom de Dieu et son Verbe qui est appelé Principe ; peu après, le Saint Esprit est désigné, là où l’Écriture dit : « Et l’Esprit de Dieu était porté sur les eaux. »

Cette ingénieuse exégèse fournit d’ailleurs, au Maître, l’occasion de s’expliquer avec son Disciple sur l’éternité des causes primordiales[3].

« Le Maître. — Dites-moi, je vous prie ce que vous comprenez lorsque vous entendez la Théologie vous dire : Dans le Principe, Dieu fit… ?

  1. Sancti Aurelii Augustini Confessiones lib. XII, cap. XXVIII.
  2. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., lib II, cap. 20 ; éd. cit., Coll 554-555.
  3. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., loc. cit. ; éd. cit., Coll. 556-557.